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Nicaragua : le volcan n’est pas éteint

Nicaragua : le volcan n’est pas éteint

Nous publions ici une synthèse rédigée par le Collectif de solidarité avec le peuple du Nicaragua (France).

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Solidaires (CM)

Au Nicaragua, le couple Ortega-Murillo est-il sur le point de gagner son pari : être réélus aux élections générales – législative et présidentielle – en novembre prochain sans aucun opposant en face ? C’est, en tout cas, une violente offensive du régime dictatorial qui domine l’actualité au Nicaragua en ce mois de juin 2021 : quatre candidats possibles de l’opposition en prison ou en résidence surveillée, en application de lois adoptées à cet effet à la fin de l’année 2020, des journalistes indépendants et des personnalités connues arrêtées et tous les espaces de liberté
d’expression fermés.

Voilà qui clôt une période où une profusion de candidat.es se déclaraient et se déchiraient, imaginant que l’un.e d’entre eux/elles pourrait incarner l’opposition d’un pays ravagé par la répression et la crise sociale et sanitaire… Comme s’ils se refusaient à voir le régime disposer ses armes législatives pour les écraser.

Comment en est-on arrivé là ?



C’est d’abord la conséquence d’une répression féroce, qui n’en finit plus, depuis trois ans, de s’attaquer méthodiquement à tout ce qui pourrait représenter un danger pour le régime, à commencer par les différentes composantes du puissant mouvement populaire qui s’était levé au printemps 2018. Etudiant.e.s, écologistes, féministes, paysan.ne.s, retraité.e.s, toutes et tous ont été réduit.e.s au silence.

Etouffer la contestation



La répression a fait plusieurs centaines de morts et plusieurs dizaines de milliers de citoyens nicaraguayens, dont de très nombreux militant.e.s du mouvement social et des paysan.ne.s, ont dû fuir le pays et sont toujours en exil au Costa Rica voisin, ou plus loin, Mexique, Etats-Unis et même Europe pour quelques-un.e.s. Quant aux militant.e.s connu.e.s qui sont resté.e.s dans le pays, ils et elles font l’objet d’une surveillance permanente, de menaces et de harcèlement, et sont de fait interdit.e.s de toute activité politique. Nombre d’entre elles et eux ont été arrêté.e.s, puis assigné.e.s à résidence, et menacé.e.s de réincarcération en cas de « récidive ». Par ailleurs, des disparitions et des assassinats politiques se poursuivent à bas bruit dans les villes et surtout dans les campagnes. Les mouvements sociaux ont été démantelés d’autant plus facilement qu’à mesure que le mouvement se développait dans les quartiers et les universités, leurs leaders, qui avaient émergé de façon spontanée (d’où leur désignation d’« autoconvoqués ») étaient pour la plupart dépourvu.e.s d’expérience politique, de réseaux d’influence et de relais institutionnels. L’Articulation des mouvements sociaux (AMS), qui constitue l’une de leurs expressions, peine ainsi à exister et à agir, victime à la fois de la répression gouvernementale et de la méfiance des partis d’opposition traditionnels.

Depuis l’expulsion successive des différentes missions d’observations diligentées par les Nations unies et la Commission interaméricaine des droits de l’homme à la fin 2018, les organismes internationaux sont tout simplement empêchés d’enquêter dans le pays, laissant les organisations locales isolées pour tenir à jour le compte de la répression. Parmi elles, le Centre nicaraguayen des droits humains (CENIDH) a vu ses activités considérablement restreintes après l’occupation de ses locaux, la saisie de ses biens par la police et la perte de son statut légal (en décembre 2018). Suite à cela, nombre de ses collaborateur.rice.s ont dû s’exiler au Costa-Rica où ils et elles ont créé une nouvelle association pour continuer leur activité en s’appuyant sur un réseau d’informateur.rice.s qui, depuis l’intérieur du Nicaragua, prennent de grands risques.

Il en va de même des journalistes, régulièrement malmené.e.s et empêché.e.s d’effectuer leur travail et dont le matériel est volé ou détruit. Certains médias indépendants ont connu le même sort que le CENIDH et d’autres ONG, notamment le canal de télévision 100% Noticias, dont le directeur et la cheffe de rédaction ont été emprisonné.e.s pendant plusieurs mois (au début 2019), et le journal en ligne Confidencial, qui réalise également les programmes Esta Noche et Esta Semana, dont les locaux ont été réquisitionnés pour y installer une « maison maternelle ». Pour ce dernier média, de nouveaux locaux récemment loués pour réaliser les programmes en ligne ont une nouvelle fois été investis et saccagés par la police (en mai 2021).

L’ancienne directrice de La Prensa et présidente de la Fondation Violeta Chamorro, par ailleurs précandidate aux élections, est également sous arrêt domiciliaire. Dans le cadre de l’enquête contre cette fondation diligentée à la fin mai par le pouvoir judiciaire pour des faits supposés remontant à plusieurs années, de nombreux.ses autres journalistes ont été cité.e.s à comparaître ; y compris l’écrivain Sergio Ramirez, ex-vice président de Daniel Ortega (1984-1990), aujourd’hui dans l’opposition.
Ce qui subsiste de liberté d’expression ne peut plus guère s’exercer que sur les réseaux sociaux et des sites internet obligés de s’installer à l’extérieur du pays.

Le mouvement social et le jeu des partis



L’Unab (Union nationale bleu et blanc), qui regroupait plus de 200 partis, associations et groupements divers (dont l’Articulation des mouvements sociaux – AMS) et avait semblé un moment en capacité d’incarner une opposition unie, s’est trouvée ballottée dans le jeu des alliances et recompositions menées par les forces politiques traditionnelles. On a ainsi vu revenir sur le devant de la scène les partis traditionnels, de vieux chevaux de retour de la droite, voire de l’extrême droite. Le rôle de ces vieux partis et du patronat a fait partie des divergences entre l’Alliance civique, qui en était proche, et l’Unab, plus représentative de la diversité de la société civile.

Tel qu’il est conçu, le système électoral, qui ne prévoit que la participation des partis enregistrés, a favorisé les luttes de pouvoir entre les différentes têtes d’affiche et placé une partie de l’opposition, issue de la société civile et favorable à l’unité, dans le dilemme d’avoir à se plier aux conditions excluantes des partis les mieux placés dans le cadre des règles du jeu imposées par le régime, ou bien de disparaître de la scène électorale.

Avec les partis, seuls à disposer d’un statut légal au sein des deux coalitions d’opposition, sont revenues les rivalités entre groupes d’intérêts et individualités, au détriment des programmes et des objectifs de transformation sociale.

Ainsi, l’opposition est aujourd’hui divisée entre deux blocs, qui au-delà des conflits de personnes ou d’appareils, se distinguent à la fois par les forces qui les composent et certaines orientations idéologiques :
-* d’un côté, l’Alliance citoyenne (Alianza Ciudadana), au sein de laquelle le parti CxL (Citoyens pour la liberté) joue un rôle prépondérant et à laquelle participent trois organisations étudiantes et le parti « régional » Movimiento unidad costeña – Pamuc – et, surtout, l’« Alliance civique pour la justice et la démocratie » qui représente les principaux groupes économiques (le conseil supérieur de l’entreprise privé – Cosep –, la Fondation nicaraguayenne pour le développement économique – Funides –, la Chambre de commerce américaine – Amcham – et la Fédération nicaraguayenne des éleveurs) ainsi que des représentants du secteur académique, des anciens prisonniers politiques et du parti social chrétien.
-* De l’autre, la Coalition nationale, impulsée par l’Unab (Union nationale bleu et blanc) et composée de groupes hétérogènes issus de la société civile, comme le Mouvement paysan anticanal et certaines organisations étudiantes, des secteurs de la résistance fragmentée dont le parti FDN (anciens contras) auxquels s’étaient joints trois partis enregistrés : le PRD (évangéliste), Yatama, parti régional présent dans les régions autonomes de la côte Atlantique, et le PLC (Parti libéral constitutionnaliste). Ce dernier a été rapidement exclu de la coalition en raison de l’accointance avérée de certains de ses dirigeants et parlementaires avec le régime. Peu après, Yatama a également été exclu de la CN lorsque son dirigeant Brooklyn Rivera a voté pour la réélection au Conseil suprême électoral (CSE) de Lumberto Campbell, membre du FSLN, originaire, lui aussi, de la côte Atlantique. Le PRD, resté seul en lice, s’est, quant à lui, vu retirer son statut légal après que quelques pasteurs ont soutenu que les orientations de ses alliés – notamment sur l’avortement et l’homosexualité –contrevenaient aux statuts et aux valeurs de ce parti.

La coalition qui semblait jusqu’au mois dernier la plus en mesure de présenter une candidature en novembre prochain est donc l’Alliance citoyenne, qu’on peut considérer comme la représentante du grand capital, prête à chercher des accommodements avec le régime pourvu que ses intérêts soient préservés et la « stabilité économique » assurée. Le CxL, qui en est le fer de lance, défend des positions moralistes et réactionnaires sur les questions sociétales, de fait, hostiles à certains des mouvements sociaux agrégés dans l’Unab. Une convergence avec la Coalition, beaucoup plus diverse et « bigarrée », paraissait donc difficilement envisageable.

La situation a connu une brutale évolution dans la première quinzaine de juin, lorsque le régime Ortega-Murillo a décidé d’appliquer les lois scélérates qu’il avait fait adopter en 2020 par un Parlement aux ordres afin de verrouiller le scrutin de novembre prochain. Ces lois visaient clairement à fournir au pouvoir ortéguiste les moyens “légaux” d’éliminer de la compétition électorale toute candidature dérangeante :
? la « loi sur la cybersécurité » permet de poursuivre tout auteur de site, blog, critiquant le régime ;
? celle sur « les agents de l’étranger », appellation appliquée à toute personne et toute association recevant des fonds de l’étranger, interdit de fait toute action humanitaire de solidarité ;
? et celle dite « de défense des droits du peuple » interdit toute position publique à quiconque critique le régime et soutient des sanctions internationales.

Dans la première quinzaine de juin, le régime a entrepris d’appliquer ces lois aux opposant.e.s qu’il considère les plus virulent.e.s et/ou les plus dangereux.ses dans la perspective des élections de novembre prochain.

Les lois scélérates



a loi sur les agents étrangers a d’abord été appliquée à Cristiana Chamorro, ancienne directrice de La Prensa et fille de l’ancienne présidente Violeta Chamorro, qui avait battu Ortega en 1990. Parce que Cristiana Chamorro présidait la Fondation Violeta Chamorro, laquelle a reçu des fonds de l’étranger, elle est considérée comme « agente de l’étranger » et interdite de postuler à des charge électives. Comme si cela ne suffisait pas, elle a été mise en résidence surveillée et accusée de blanchiment d’argent.

Quant à Arturo Cruz, autre possible candidat de la Coalition nationale, il a été arrêté le 5 juin à sa descente d’avion à l’aéroport de Managua, au nom de « la défense des intérêts du peuple ».

Ainsi se trouvent éliminées deux personnalités emblématiques de l’opposition. Un troisième candidat potentiel, Félix Maradiaga, était, quant à lui, convoqué au tribunal lundi 7 juin. Et un quatrième candidat, Juan Sebastiàn Chamorro, a été arrêté le 8 juin. D’autres personnalités d’opposition étaient arrêtées, dont un ancien président du Cosep (le principal syndicat patronal) qui fut pourtant l’allié d’Ortega jusqu’en 2018.

La chasse aux anciens sandinistes



Cette première vague d’arrestations a été suivie d’une seconde une semaine plus tard, qui a concerné cette fois d’ancien.ne.s militant.e.s et responsables de la révolution sandiniste, très respecté.es pour leur passé de lutte contre la dictature somoziste, leur rôle dans les premières années de la révolution, et leur rupture déjà ancienne avec Ortega.

Dora Maria Téllez, arrêtée en même temps que Suyen Barahona et Ana Margarita Vijil, autres responsables d’Unamos (ex-Mouvement de rénovation sandiniste - MRS), fut l’une des responsables de la prise du Parlement somoziste en 1978, à la tête de l’un des « fronts » de l’insurrection, puis ministre de la Santé dans les premières années de la révolution. Son crime ? Un tweet en date du 8 juin, où elle dénonçait le caractère « dictatorial » du régime orteguïste.

Hugo Torres, autre figure historique de la guérilla, et général à la retraite de l’armée sandiniste, était arrêté le même jour, ainsi que Victor Hugo Tinoco, ancien vice-ministre des Affaires étrangères pendant la révolution. Ils et elles étaient également membres d’Unamos.

En deux semaines, la dictature Ortega-Murillo a mis en œuvre sa stratégie murie au cours des derniers mois, déchirant ainsi les derniers oripeaux de légitimité démocratique dont elle prétendait couvrir ses crimes, et révélant en même temps la crainte que lui inspire la perspective d’élections libres. A n’en plus douter, le scrutin de novembre prochain ne sera rien qu’une farce électorale, un écran de fumée.. La seule question est de savoir qui acceptera de jouer le rôle de figurant.

Même si la colère n’est pas éteinte, la situation est complexe et semble bloquée : d’une part, l’oligarchie doit beaucoup à Ortega, dont le régime s’est de fait historiquement appuyé sur une alliance entre l’oligarchie traditionnelle et une nouvelle oligarchie liée à la famille Ortega et à ses proches, au prix d’une absence de remise en cause d’un modèle économique et social profondément inégalitaire et d’un saccage des écosystèmes ; d’autre part, la “communauté internationale” se limite à émettre des protestations. Alors, l’une et l’autre pourraient se satisfaire d’une négociation avec la dictature, pour peu qu’elle permette de préserver les intérêts de l’oligarchie et les apparences (pour la communauté internationale).

En revanche, la grande majorité de la population, elle, n’a rien a négocier avec Ortega-Murillo : le peuple nicaraguayen ne peut que poursuivre sa résistance au quotidien et en appeler à la solidarité et à l’aide internationale. Nous resterons à ses côtés et aux côtés des mouvements sociaux, pour informer, dénoncer la dictature et exiger l’arrêt de la répression, la libération de tous les prisonnier.ère.s politiques et le rétablissement des libertés civiques, notamment de la liberté d’expression et la liberté de la presse.



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