La maison Hoffa divisée : l’enjeu du prochain congrès des Teamsters américains expliquée par un militant
Solidaires (CM)
Andy Sernatinger, membre du syndicat des Teamsters, revient sur la prochaine élection de la direction de ce syndicat en novembre prochain. Les Teamsters, littéralement camionneurs, syndiquent bien au-delà conducteurs routiers américains et canadiens, notamment dans les entrepôts d’Amazon. Il est l’une des colonnes vertébrales du mouvement syndical et a une longue tradition de luttes entravée par la mainmise de la Mafia sur le syndicat avec la domination à sa tête du de Jimmy Hoffa, puis de son fils Hoffa Jr (voir le film Fist). Une forte tendance syndicale de gauche la TDU (Teamsters for a Democratic Union) y est présente depuis les années 1970. Andy s’interroge sur les alliances passées par celle-ci en vue de la prochaine élection.
L’élection de novembre prochain déterminera qui dirigera l’International Brotherhood of Teamsters (IBT), le syndicat nord-américain de 1,4 million de membres représentant des travailleur·euses dans presque tous les secteurs, notamment la logistique, la livraison de colis, la construction, le cinéma et la télévision, la fabrication et le transport. Depuis plus de 20 ans, le syndicat est dirigé par James P. Hoffa, fils du tristement célèbre Jimmy Hoffa, président historique des Teamsters ayant des liens avec le crime organisé. Cette élection marque la clôture d’un chapitre de l’histoire des Teamster : la fin de la surveillance du syndicat par le gouvernement fédéral [en raison de liens de la direction avec la mafia NdT], et la première élection en 25 ans sans le nom de Hoffa sur le bulletin de vote. Le vainqueur, quel qu’il soit, dirigera le syndicat dans sa lutte contre un environnement difficile d’aujourd’hui : la croissance d’Amazon, la pandémie de Covid-19 en cours, la prochaine convention collective avec l’United Parcel Service (UPS), et des employeurs et des politiciens de plus en plus hostiles.
Deux listes sont en lice pour le contrôle des postes de direction de la IBT : Teamster Power, dirigé par Steve Vairma et son colistier Ron Herrera, et Teamsters United, dirigé par Sean O’Brien et son colistier Fred Zuckerman. Il y a cinq ans, Teamsters United, alors dirigé par Zuckerman, n’était qu’à quelques milliers de voix de battre Hoffa et de remporter le poste de président général, 45,6 % contre 48,4 %.
Soutenue par le groupe réformateur Teamsters for a Democratic Union (TDU, regroupement de gauche de syndicalistes anti-mafia NDT), Teamsters United a mis sur pied une campagne qui s’est appuyée sur la colère croissante suscitée par un certain nombre de problèmes tels que les concessions accordées à UPS, l’inaction face à la crise du fonds de pension du syndicat et le déclin des industries de base (camionnage et logistique). TDU, une organisation de base de membres de Teamster formée en 1976, a une longue histoire de batailles pour démocratiser le syndicat, combattre la corruption et obtenir des conventions collectives satisfaisantes. Les campagnes de TDU ont abouti au droit de voter directement pour les hauts responsables en 1989, ainsi qu’à l’élection de Ron Carey comme président général des Teamster [réformateur] en 1991, et ont joué un rôle important dans le succès de la grève d’UPS en 1997.
En 2016, Zuckerman a perdu de justesse face à Hoffa, mais Teamsters United a remporté des sièges au conseil exécutif général du syndicat pour les districts du centre et du sud, tandis que Hoffa a pu faire basculer en sa faveur les régions de l’est et de l’ouest ainsi que Teamsters Canada. L’élection a révélé le profond mécontentement des membres des Teamsters, la distance entre la base et la direction, et l’existence d’une masse de membres qui pourraient potentiellement changer le cours du syndicat.
L’élection de 2021 a été présentée comme un match retour qui se prépare depuis cinq ans. Vairma, un important permanent mais relativement inconnu, de la section 455 des Teamsters au Colorado et depuis 2011 membre de la liste Hoffa-Ken Hall (le caucus de l’establishment qui a gagné en 2016), est considéré comme le successeur de Hoffa. Hoffa a soutenu le Teamster Power de Vairma, et la liste comporte de nombreux loyalistes à la direction actuelle. Cette élection pourrait être considérée comme un nouveau round des réformateurs contre la « vieille garde » d’Hoffa. Sans le nom de Hoffa et sans son statut de titulaire pour rassembler une coalition de la direction en place, les challengers devraient avoir l’avantage après être passés si près de la victoire lors de la dernière élection. Teamsters United ne doit pas perdre cette élection.
Mais cette fois-ci, Teamsters United a fait un tournant avec le choix d’une nouvelle direction. En 2016, Teamsters United était dirigé par Zuckerman, responsable principal de la section 89 des Teamsters à Louisville, dans le Kentucky, où se trouve le siège d’UPS. Zuckerman est un dirigeant syndical calme et direct qui s’est retrouvé allié à TDU en opposition à la direction chargée par Hoffa des négociations avec UPS. Malgré le succès de Zuckerman à la tête du syndicat il y a cinq ans, Teamsters United est maintenant dirigé par O’Brien, de la section 25 des Teamsters à Boston.
O’Brien, comme Vairma, était jusqu’à récemment un membre de la liste Hoffa-Hall, élu en 2011 au bureau exécutif général de l’IBT en tant que vice-président international pour la région Est des Teamsters. Fin 2017, Hoffa a licencié O’Brien en tant que négociateur en chef du syndicat avec UPS, pour avoir adopté ostensiblement une position trop dure contre l’entreprise. O’Brien a rompu les liens avec Hoffa et s’est rapproché de Teamsters United. Zuckerman, déjà réticent à l’idée de prendre la tête de l’équipe en 2016, a alors cédé sa place à O’Brien et s’est retrouvé en position de numéro deux. Le TDU a soutenu O’Brien et Teamsters United lors de son congrès de 2019 et a commencé sa campagne pour soutenir cette liste.
En quittant le camp de Hoffa, O’Brien apporte des relations avec d’autres dirigeants locaux et des votes dans la région Est - mais il n’est pas sans poser de problèmes. O’Brien a acquis une réputation d’ambitieux et de tête brûlée parmi les responsables syndicaux et à la base, avec plusieurs accusations portées contre lui au sein du syndicat. En 2013, M. O’Brien a menacé des membres de la section 251 du syndicat des Teamsters, basée à Providence, pour avoir organisé une campagne électorale visant à contester la direction de la section. L’incident a été filmé et a conduit à sa suspension. Des accusations ont de nouveau été portées contre lui pour des menaces envers des opposants lors de congrès des Teamsters, mais elles ont finalement été abandonnées.
En 2014, la section locale 25 d’O’Brien a fait l’actualité nationale lorsque le piquet de grève du syndicat pour l’émission Top Chef a été enregistré en train de proférer une série d’insultes racistes et sexistes à l’égard des membres de l’équipe de tournage. Cinq hommes impliqués dans le piquet de grève ont ensuite été inculpés d’extorsion criminelle et avoir menacé la production. (Mark Harrington, responsable de la section locale 25, a plaidé coupable ; les quatre autres ont finalement été acquittés. O’Brien a récusé tout acte répréhensible, qualifiant les accusations de « fiction au mieux ».
Le caractère d’outsider de Teamsters United a changé avec la nouvelle direction. Les relations d’O’Brien au sein de la IBT ont permis de rallier un si grand nombre de dirigeants locaux que Teamsters United a pris la tête de la course aux délégués avant le congrès de 2021 cet été. Zuckerman a dû se battre pour figurer sur le bulletin de vote en 2016, atteignant tout juste le minimum requis en obtenant le soutien de 8 % des délégués pour sa candidature. Cette année, O’Brien s’est retrouvé sur le bulletin de vote avec 52% des délégués qui l’ont soutenu.
La moitié des permanents locaux des Teamsters qui ont soutenu la candidature d’O’Brien n’ont pas été soudainement gagnés à la plateforme pour la démocratie et le militantisme de Teamsters United 2016. Les délégués qui ont soutenu O’Brien ont juste accepté de solutionner les problèmes les plus flagrants qui ont suscité la colère de la base, comme les retards sur le versement des indemnités de grève et la redoutable règle des deux tiers, qui exige une supermajorité de « non » pour rejeter un contrat si moins de 50 % des membres participent à la ratification, ce qui a permis à Hoffa d’imposer la convention collective avec UPS de 2018 malgré un « non » majoritaire. Mais leur engagement pour les réformes s’arrête à ces questions.
Les propositions qui s’attaquaient aux privilèges des responsables syndicaux des Teamsters ont toutes été rejetées. Elles visaient à (1) limiter le nombre de différents salaires que les responsables syndicaux pouvaient percevoir ; (2) exiger que les hauts dirigeants aient de l’expérience en tant que travailleur·euses des Teamsters ; (3) préserver la règle selon laquelle les candidat·es à la présidence n’ont besoin que du soutien de 5 % des délégués pour se qualifier ; et (4) interdire à tout responsable ayant été suspendu d’occuper le poste de président. Comme pour mettre évidence ces questions, les délégués des Teamsters au congrès ont voté à une écrasante majorité pour consacrer Hoffa Jr. comme « président général émérite à vie ». Les dirigeants de ma propre section locale 695 ont appuyé O’Brien et sa liste, tout en obtenant une nouvelle commande d’épinglettes « TDU, ça craint ».
« Il n’y a pas de liste pour la réforme dans cette élection », a déclaré Tom Leedham, trois fois candidat au poste de président des Teamsters de 1997 à 2006. Leedham, qui maintient qu’il est fier de son bilan au sein de TDU, a expliqué lors du compte rendu d’un récent débat : « Les gens disent que c’est la liste pour la réforme de TDU. Il y a essentiellement cinq candidats [sur la liste de Teamsters United] qui portent fièrement le nom de TDU. Deux d’entre eux occuperont des postes sans droit de vote. Il est tellement difficile de faire bouger les choses quand on a trois sièges sur un conseil de 25 personnes. »
Plutôt qu’un référendum sur la réforme, cette élection révèle une scission au sein de l’ancienne direction du syndicat. Deux candidats issus de l’administration Hoffa s’affrontent pour le poste suprême, rassemblant différentes sections pour tenter de leur faire franchir la ligne d’arrivée. O’Brien s’est concentré sur les membres du syndicat qui relèvent des conventions collectives nationales chez UPS, UPS Freight (maintenant TForce) et Yellow Roadway Corporation (YRC) Freight, en s’appuyant sur le prestige de la campagne Teamsters United de 2016 tout en faisant appel à des dirigeants locaux précédemment alignés sur Hoffa. C’est logique : 70 % des Teamsters d’UPS ont voté pour Zuckerman la dernière fois.
Vairma et Teamsters Power ont axé leur message sur la nécessité d’avoir une direction diversifiée sur le plan racial afin de répondre à l’évolution démographique du syndicat, et ont obtenu le soutien du Caucus national noir des Teamsters. Vairma suit la stratégie électorale gagnante de Hoffa, qui consistait à faire appel à la majorité des Teamsters dans le cadre d’accords locaux de type « livre blanc » (contrats autonomes propres aux syndicats locaux), en utilisant ses relations avec des dirigeants locaux alliés pour faire voter. « United Parcel Service est extrêmement important dans ce syndicat, nous avons 325 000 membres, a déclaré Vairma lors du premier débat pour la présidence des Teamsters en 2021, mais nous avons aussi un autre million de membres dans l’industrie sous « livre blanc » qui veulent voir que leur voix est entendue dans le syndicat. » Vairma a clairement rejeté les préoccupations des membres concernant la négociation chez UPS : « La campagne de ‘Votez Non’ chez UPS était une farce. » De nombreux membres de la liste de Vairma sont des dirigeants de différentes divisions du syndicat : entrepôt, port, rail, service public, soins de santé, métiers de la construction. Vairma a appuyé cette critique en dénonçant que le syndicat était seulement préoccupé par UPS.
La campagne d’O’Brien a capitalisé sur son approche agressive. « Il est clair que je suis ambitieux et que je veux diriger ce syndicat au maximum », a déclaré O’Brien lors du même débat. « Lorsque vous êtes sur le terrain et que vous êtes agressif, que vous prenez des risques calculés pour le bien de vos membres, il y aura bien sûr des controverses. » O’Brien appelle à la défense des conventions collectives, à l’organisation dans les industries de base qui ont été négligées et à l’utilisation de l’arme de la grève.
Vairma s’est fortement appuyé sur les attaques contre le bilan d’O’Brien, se présentant comme une valeur sûre. (Bien que Vairma ait aussi quelques cadavres dans le placard : en 2017, la Commission pour l’égalité des chances en matière d’emploi (EEOC) du gouvernement fédéral a jugé sa section locale 455 coupable de discrimination à l’encontre d’un groupe de travailleur·euses somaliens qu’ils représentaient).
Il est difficile de prévoir comment cela va se passer. Les Teamsters sont particuliers parmi les syndicats nord-américains en ce sens que les élections aux postes de direction du syndicat se font par vote direct des membres. (La plupart des syndicats internationaux déterminent leur direction par une convention de délégués). La participation aux élections des Teamsters est en baisse depuis que le vote direct a été obtenu en 1989 avec le « décret de consentement » du gouvernement fédéral ; en 2016, un nombre terriblement bas de 200 000 membres sur 1,4 million de membres ont voté, soit environ 15 %. La colère suscitée par la convention avec UPS de 2013 a constitué une tempête en 2016, avec un choix clair entre la bureaucratie et l’alternative. En 2021, la fusion d’une partie de la direction de Hoffa avec les réformateurs de TDU brouille les pistes.
Les listes se différencient largement par les personnes qui, selon eux, seront élues, puis par la manière dont ils entendent affronter (ou non) les employeurs. Teamsters United, dont le matériel s’adresse presque exclusivement aux travailleur·euses d’UPS, annonce qu’il est prêt à se battre. Teamster Power, qui regroupe les différentes conférences sectorielles du syndicat, fait appel à la bonne réputation des candidats et demande de croire en leur intégrité et qu’ils maintiendront le cap. Mark Solomon, rédacteur du magazine FreightWaves, l’a dit clairement dans une question soumise au débat pour la présidence des Teamster : « Vous représentez le statu quo et êtes considéré comme moins militant que Sean O’Brien et Fred Zuckerman ». Les Teamsters à la base devront tirer le meilleur parti de la situation, en commençant par savoir qui sont les candidats et ce qu’ils représentent.
C’est l’activité des membres du syndicat dans les ateliers qui a poussé la IBT à adopter des changements. Les réformes qui ont été adoptées cette année sont le produit de l’organisation de la base au cours de la dernière décennie : les campagnes « Votez non » chez UPS et YRC, le refus des retraités des Teamsters d’accepter que leurs pensions puissent être diminuées, et les contestations répétées des dirigeants locaux. Après deux débats désastreux pour Vairma, O’Brien semble avoir l’avantage. Peu importe qui remporte l’élection, les membres devront s’organiser pour que les dirigeants rendent compte.
L’élection de novembre prochain déterminera qui dirigera l’International Brotherhood of Teamsters (IBT), le syndicat nord-américain de 1,4 million de membres représentant des travailleur·euses dans presque tous les secteurs, notamment la logistique, la livraison de colis, la construction, le cinéma et la télévision, la fabrication et le transport. Depuis plus de 20 ans, le syndicat est dirigé par James P. Hoffa, fils du tristement célèbre Jimmy Hoffa, président historique des Teamsters ayant des liens avec le crime organisé. Cette élection marque la clôture d’un chapitre de l’histoire des Teamster : la fin de la surveillance du syndicat par le gouvernement fédéral [en raison de liens de la direction avec la mafia NdT], et la première élection en 25 ans sans le nom de Hoffa sur le bulletin de vote. Le vainqueur, quel qu’il soit, dirigera le syndicat dans sa lutte contre un environnement difficile d’aujourd’hui : la croissance d’Amazon, la pandémie de Covid-19 en cours, la prochaine convention collective avec l’United Parcel Service (UPS), et des employeurs et des politiciens de plus en plus hostiles.
Deux listes sont en lice pour le contrôle des postes de direction de la IBT : Teamster Power, dirigé par Steve Vairma et son colistier Ron Herrera, et Teamsters United, dirigé par Sean O’Brien et son colistier Fred Zuckerman. Il y a cinq ans, Teamsters United, alors dirigé par Zuckerman, n’était qu’à quelques milliers de voix de battre Hoffa et de remporter le poste de président général, 45,6 % contre 48,4 %.
Soutenue par le groupe réformateur Teamsters for a Democratic Union (TDU, regroupement de gauche de syndicalistes anti-mafia NDT), Teamsters United a mis sur pied une campagne qui s’est appuyée sur la colère croissante suscitée par un certain nombre de problèmes tels que les concessions accordées à UPS, l’inaction face à la crise du fonds de pension du syndicat et le déclin des industries de base (camionnage et logistique). TDU, une organisation de base de membres de Teamster formée en 1976, a une longue histoire de batailles pour démocratiser le syndicat, combattre la corruption et obtenir des conventions collectives satisfaisantes. Les campagnes de TDU ont abouti au droit de voter directement pour les hauts responsables en 1989, ainsi qu’à l’élection de Ron Carey comme président général des Teamster [réformateur] en 1991, et ont joué un rôle important dans le succès de la grève d’UPS en 1997.
En 2016, Zuckerman a perdu de justesse face à Hoffa, mais Teamsters United a remporté des sièges au conseil exécutif général du syndicat pour les districts du centre et du sud, tandis que Hoffa a pu faire basculer en sa faveur les régions de l’est et de l’ouest ainsi que Teamsters Canada. L’élection a révélé le profond mécontentement des membres des Teamsters, la distance entre la base et la direction, et l’existence d’une masse de membres qui pourraient potentiellement changer le cours du syndicat.
L’élection de 2021 a été présentée comme un match retour qui se prépare depuis cinq ans. Vairma, un important permanent mais relativement inconnu, de la section 455 des Teamsters au Colorado et depuis 2011 membre de la liste Hoffa-Ken Hall (le caucus de l’establishment qui a gagné en 2016), est considéré comme le successeur de Hoffa. Hoffa a soutenu le Teamster Power de Vairma, et la liste comporte de nombreux loyalistes à la direction actuelle. Cette élection pourrait être considérée comme un nouveau round des réformateurs contre la « vieille garde » d’Hoffa. Sans le nom de Hoffa et sans son statut de titulaire pour rassembler une coalition de la direction en place, les challengers devraient avoir l’avantage après être passés si près de la victoire lors de la dernière élection. Teamsters United ne doit pas perdre cette élection.
Mais cette fois-ci, Teamsters United a fait un tournant avec le choix d’une nouvelle direction. En 2016, Teamsters United était dirigé par Zuckerman, responsable principal de la section 89 des Teamsters à Louisville, dans le Kentucky, où se trouve le siège d’UPS. Zuckerman est un dirigeant syndical calme et direct qui s’est retrouvé allié à TDU en opposition à la direction chargée par Hoffa des négociations avec UPS. Malgré le succès de Zuckerman à la tête du syndicat il y a cinq ans, Teamsters United est maintenant dirigé par O’Brien, de la section 25 des Teamsters à Boston.
O’Brien, comme Vairma, était jusqu’à récemment un membre de la liste Hoffa-Hall, élu en 2011 au bureau exécutif général de l’IBT en tant que vice-président international pour la région Est des Teamsters. Fin 2017, Hoffa a licencié O’Brien en tant que négociateur en chef du syndicat avec UPS, pour avoir adopté ostensiblement une position trop dure contre l’entreprise. O’Brien a rompu les liens avec Hoffa et s’est rapproché de Teamsters United. Zuckerman, déjà réticent à l’idée de prendre la tête de l’équipe en 2016, a alors cédé sa place à O’Brien et s’est retrouvé en position de numéro deux. Le TDU a soutenu O’Brien et Teamsters United lors de son congrès de 2019 et a commencé sa campagne pour soutenir cette liste.
En quittant le camp de Hoffa, O’Brien apporte des relations avec d’autres dirigeants locaux et des votes dans la région Est - mais il n’est pas sans poser de problèmes. O’Brien a acquis une réputation d’ambitieux et de tête brûlée parmi les responsables syndicaux et à la base, avec plusieurs accusations portées contre lui au sein du syndicat. En 2013, M. O’Brien a menacé des membres de la section 251 du syndicat des Teamsters, basée à Providence, pour avoir organisé une campagne électorale visant à contester la direction de la section. L’incident a été filmé et a conduit à sa suspension. Des accusations ont de nouveau été portées contre lui pour des menaces envers des opposants lors de congrès des Teamsters, mais elles ont finalement été abandonnées.
En 2014, la section locale 25 d’O’Brien a fait l’actualité nationale lorsque le piquet de grève du syndicat pour l’émission Top Chef a été enregistré en train de proférer une série d’insultes racistes et sexistes à l’égard des membres de l’équipe de tournage. Cinq hommes impliqués dans le piquet de grève ont ensuite été inculpés d’extorsion criminelle et avoir menacé la production. (Mark Harrington, responsable de la section locale 25, a plaidé coupable ; les quatre autres ont finalement été acquittés. O’Brien a récusé tout acte répréhensible, qualifiant les accusations de « fiction au mieux ».
Le caractère d’outsider de Teamsters United a changé avec la nouvelle direction. Les relations d’O’Brien au sein de la IBT ont permis de rallier un si grand nombre de dirigeants locaux que Teamsters United a pris la tête de la course aux délégués avant le congrès de 2021 cet été. Zuckerman a dû se battre pour figurer sur le bulletin de vote en 2016, atteignant tout juste le minimum requis en obtenant le soutien de 8 % des délégués pour sa candidature. Cette année, O’Brien s’est retrouvé sur le bulletin de vote avec 52% des délégués qui l’ont soutenu.
La moitié des permanents locaux des Teamsters qui ont soutenu la candidature d’O’Brien n’ont pas été soudainement gagnés à la plateforme pour la démocratie et le militantisme de Teamsters United 2016. Les délégués qui ont soutenu O’Brien ont juste accepté de solutionner les problèmes les plus flagrants qui ont suscité la colère de la base, comme les retards sur le versement des indemnités de grève et la redoutable règle des deux tiers, qui exige une supermajorité de « non » pour rejeter un contrat si moins de 50 % des membres participent à la ratification, ce qui a permis à Hoffa d’imposer la convention collective avec UPS de 2018 malgré un « non » majoritaire. Mais leur engagement pour les réformes s’arrête à ces questions.
Les propositions qui s’attaquaient aux privilèges des responsables syndicaux des Teamsters ont toutes été rejetées. Elles visaient à (1) limiter le nombre de différents salaires que les responsables syndicaux pouvaient percevoir ; (2) exiger que les hauts dirigeants aient de l’expérience en tant que travailleur·euses des Teamsters ; (3) préserver la règle selon laquelle les candidat·es à la présidence n’ont besoin que du soutien de 5 % des délégués pour se qualifier ; et (4) interdire à tout responsable ayant été suspendu d’occuper le poste de président. Comme pour mettre évidence ces questions, les délégués des Teamsters au congrès ont voté à une écrasante majorité pour consacrer Hoffa Jr. comme « président général émérite à vie ». Les dirigeants de ma propre section locale 695 ont appuyé O’Brien et sa liste, tout en obtenant une nouvelle commande d’épinglettes « TDU, ça craint ».
« Il n’y a pas de liste pour la réforme dans cette élection », a déclaré Tom Leedham, trois fois candidat au poste de président des Teamsters de 1997 à 2006. Leedham, qui maintient qu’il est fier de son bilan au sein de TDU, a expliqué lors du compte rendu d’un récent débat : « Les gens disent que c’est la liste pour la réforme de TDU. Il y a essentiellement cinq candidats [sur la liste de Teamsters United] qui portent fièrement le nom de TDU. Deux d’entre eux occuperont des postes sans droit de vote. Il est tellement difficile de faire bouger les choses quand on a trois sièges sur un conseil de 25 personnes. »
Plutôt qu’un référendum sur la réforme, cette élection révèle une scission au sein de l’ancienne direction du syndicat. Deux candidats issus de l’administration Hoffa s’affrontent pour le poste suprême, rassemblant différentes sections pour tenter de leur faire franchir la ligne d’arrivée. O’Brien s’est concentré sur les membres du syndicat qui relèvent des conventions collectives nationales chez UPS, UPS Freight (maintenant TForce) et Yellow Roadway Corporation (YRC) Freight, en s’appuyant sur le prestige de la campagne Teamsters United de 2016 tout en faisant appel à des dirigeants locaux précédemment alignés sur Hoffa. C’est logique : 70 % des Teamsters d’UPS ont voté pour Zuckerman la dernière fois.
Vairma et Teamsters Power ont axé leur message sur la nécessité d’avoir une direction diversifiée sur le plan racial afin de répondre à l’évolution démographique du syndicat, et ont obtenu le soutien du Caucus national noir des Teamsters. Vairma suit la stratégie électorale gagnante de Hoffa, qui consistait à faire appel à la majorité des Teamsters dans le cadre d’accords locaux de type « livre blanc » (contrats autonomes propres aux syndicats locaux), en utilisant ses relations avec des dirigeants locaux alliés pour faire voter. « United Parcel Service est extrêmement important dans ce syndicat, nous avons 325 000 membres, a déclaré Vairma lors du premier débat pour la présidence des Teamsters en 2021, mais nous avons aussi un autre million de membres dans l’industrie sous « livre blanc » qui veulent voir que leur voix est entendue dans le syndicat. » Vairma a clairement rejeté les préoccupations des membres concernant la négociation chez UPS : « La campagne de ‘Votez Non’ chez UPS était une farce. » De nombreux membres de la liste de Vairma sont des dirigeants de différentes divisions du syndicat : entrepôt, port, rail, service public, soins de santé, métiers de la construction. Vairma a appuyé cette critique en dénonçant que le syndicat était seulement préoccupé par UPS.
La campagne d’O’Brien a capitalisé sur son approche agressive. « Il est clair que je suis ambitieux et que je veux diriger ce syndicat au maximum », a déclaré O’Brien lors du même débat. « Lorsque vous êtes sur le terrain et que vous êtes agressif, que vous prenez des risques calculés pour le bien de vos membres, il y aura bien sûr des controverses. » O’Brien appelle à la défense des conventions collectives, à l’organisation dans les industries de base qui ont été négligées et à l’utilisation de l’arme de la grève.
Vairma s’est fortement appuyé sur les attaques contre le bilan d’O’Brien, se présentant comme une valeur sûre. (Bien que Vairma ait aussi quelques cadavres dans le placard : en 2017, la Commission pour l’égalité des chances en matière d’emploi (EEOC) du gouvernement fédéral a jugé sa section locale 455 coupable de discrimination à l’encontre d’un groupe de travailleur·euses somaliens qu’ils représentaient).
Il est difficile de prévoir comment cela va se passer. Les Teamsters sont particuliers parmi les syndicats nord-américains en ce sens que les élections aux postes de direction du syndicat se font par vote direct des membres. (La plupart des syndicats internationaux déterminent leur direction par une convention de délégués). La participation aux élections des Teamsters est en baisse depuis que le vote direct a été obtenu en 1989 avec le « décret de consentement » du gouvernement fédéral ; en 2016, un nombre terriblement bas de 200 000 membres sur 1,4 million de membres ont voté, soit environ 15 %. La colère suscitée par la convention avec UPS de 2013 a constitué une tempête en 2016, avec un choix clair entre la bureaucratie et l’alternative. En 2021, la fusion d’une partie de la direction de Hoffa avec les réformateurs de TDU brouille les pistes.
Les listes se différencient largement par les personnes qui, selon eux, seront élues, puis par la manière dont ils entendent affronter (ou non) les employeurs. Teamsters United, dont le matériel s’adresse presque exclusivement aux travailleur·euses d’UPS, annonce qu’il est prêt à se battre. Teamster Power, qui regroupe les différentes conférences sectorielles du syndicat, fait appel à la bonne réputation des candidats et demande de croire en leur intégrité et qu’ils maintiendront le cap. Mark Solomon, rédacteur du magazine FreightWaves, l’a dit clairement dans une question soumise au débat pour la présidence des Teamster : « Vous représentez le statu quo et êtes considéré comme moins militant que Sean O’Brien et Fred Zuckerman ». Les Teamsters à la base devront tirer le meilleur parti de la situation, en commençant par savoir qui sont les candidats et ce qu’ils représentent.
C’est l’activité des membres du syndicat dans les ateliers qui a poussé la IBT à adopter des changements. Les réformes qui ont été adoptées cette année sont le produit de l’organisation de la base au cours de la dernière décennie : les campagnes « Votez non » chez UPS et YRC, le refus des retraités des Teamsters d’accepter que leurs pensions puissent être diminuées, et les contestations répétées des dirigeants locaux. Après deux débats désastreux pour Vairma, O’Brien semble avoir l’avantage. Peu importe qui remporte l’élection, les membres devront s’organiser pour que les dirigeants rendent compte.