Des syndicats haïtiens répondent à Macron
et intervention lors du colloque de la Plateforme française de solidarité avec Haïti
Le Réseau
Le Réseau syndical interational de solidarité et de luttes soutient et fait conaître cette "lettre ouverte" de plusieurs syndicalistes d'Haïti, faisant suite aux propos du président français Macron
Position de plusieurs Syndicats haïtiens : SPEMENFP, CENEH, SHJRH, ANSTVH, MEEN, SDE/OAVCT, ANAGH, REPROH, SONHED, UNNOH, relative à la déclaration inappropriée du Président français, Emmanuel Macron, sur la situation en Haïti après la révocation du Premier ministre Gary Conille.
Le président français a déclaré d'une part : "Ce sont les Haïtiens qui ont détruit, tué Haïti", et d'autre part : "Garry Conille était un Premier ministre super, il était formidable et on l'a révoqué". Ainsi, les Haïtiens sont qualifiés de "cons" ou écervelés.
Première considération : Nous, les syndicats, considérons que cette déclaration tendancieuse s’inscrit dans la continuité des pratiques d'ingérence habituelles des puissances impérialistes, comme les États-Unis, la France et d'autres, en Haïti, pour continuer à mettre le pays sous pression et renforcer leur domination. Cela traduit également une attitude coloniale et un manque de respect du président Macron envers le peuple haïtien et ceux qui le dirigent.
Deuxième considération : C'est une violation flagrante de la Convention de Vienne, qui interdit à tout pays de s'ingérer dans les affaires internes d'un autre pays.
Troisième considération : Si Emmanuel Macron estime que Garry Conille était "extra", "super", "formidable", il pourrait ou ferait mieux l’imposer comme Premier ministre de la France, et ainsi Conille aurait pu aider Macron à devenir formidable en France, où il fait l'objet de nombreuses critiques en tant que président.
Quatrième considération : Tous les pays de l'Occident et la France, notamment, se positionnent toujours en face d'Haïti en raison de la victoire de la bataille de Vertières, victoire remportée par nos ancêtres sur la plus grande armée de l'époque, celle de Napoléon, le 18 novembre 1803. "Comment pourraient-ils vouloir que nous ayons des dirigeants super et formidables ?". Toute personne ayant un minimum de bon sens comprendrait facilement le genre de jeu suspect qui se joue ! Car eux qui sont toujours contre les intérêts d'Haïti, qui continuent d'imposer leurs marionnettes à la tête de notre pays pour mieux le contrôler, le dominer, s’ils déclarent qu'un dirigeant haïtien est bon ou formidable, nous devons rapidement tout comprendre. Comprendre déjà qu'une telle personne ne saurait être rien d'autre qu'un fossoyeur et non un bon dirigeant ni une bonne personne pour Haïti. En témoigne, la complicité apparente entre Garry Conille et les gangs terroristes.
Cinquième considération :
Macron semble avoir une mémoire courte ou devenir soudain amnésique. Il semble avoir oublié les graves conséquences de l'escroquerie historique perpétrée en 1825 par la France, avec la complicité des traîtres haïtiens de l'époque, nous obligeant à payer pendant plus d'un siècle une dette d'indépendance fictive qui a détruit l'économie de notre pays et renforcé l'économie de la France, permettant aussi la construction de la "Tour Eiffel,” qui rapporte à la France des millions chaque année.
Nous, les syndicats, voulons bien rappeler à Macron ce qui a, entre autres, véritablement détruit Haïti dont :
1. L'escroquerie du roi Charles X contre le peuple haïtien, avec la complicité des traîtres locaux en avril 1825. Sans aucun doute, nous pouvons dire : "Le devoir de restitution et de réparation que la France n'a pas jusqu'à présent accompli en faveur d'Haïti contribue fortement à la détruire ;
2. Le vol de notre réserve d'or par les Américains le 17 décembre 1914, réserve d'or non encore restituée ainsi que les réparations non encore effectuées, tout cela est en train de tuer notre pays ;
3. L’ingérence et la domination politique et économique des puissances impérialistes comme la France, le Canada et les États-Unis sur Haïti, et l'imposition à la direction de notre de leurs laquais ou esclaves domestiques dont la clique *PHTK, cela tue davantage notre pays.
4. Le plan néolibéral imposé depuis les années 80, qui a détruit l'économie du pays, tuant ainsi Haïti par l'augmentation de la misère, de la faim, de la dépendance politique et économique.
5. Le génocide silencieux pensé et cyniquement organisé par les puissances impérialistes avec le soutien des collabos locaux, des oligarques criminels et des gangs de tout type, est en train de détruire systématiquement Haïti.
6. Les armes et les munitions envoyées par les États-Unis et d'autres, comme le montre l'enquête ONUDC, renforcent les gangs terroristes, aggravant la situation chaotique que subit le peuple haïtien aujourd'hui.
Cette liste qui est loin d'être exhaustive donne déjà une idée ou indique un certain nombre de raisons expliquant ce qui contribue véritablement à tuer Haïti. Emmanuel Macron n'est absolument pas innocent. Il n'a donc aucune leçon à donner au peuple haïtien.
Pour conclure, le CPT que Macron traite de "con" devrait prendre toutes les mesures diplomatiques nécessaires pour exiger que Macron retire sa déclaration et présente ses excuses au peuple haïtien et à ses dirigeants.
Cette déclaration devrait faire comprendre à tous les Haïtiens dignes ayant encore dans leurs veines le sang de Dessalines, la nécessité de s'organiser pour la bataille de libération nationale, qui implique la lutte contre l'ingérence étrangère, la lutte pour reprendre notre souveraineté nationale et le droit de choisir librement ceux qui doivent nous diriger. Enfin, la bataille de libération nationale implique la lutte contre tous les Haïtiens collabos qui s'associent aux étrangers pour tenter de vendre et détruire notre pays. Elle implique également la lutte pour la restitution et les réparations. Une telle lutte nécessite une solidarité internationale agissante impliquant la participation de tous les peuples frères du monde en lutte.
Vive une Haïti souveraine et libre
Vive des dirigeants politiques dignes.
Vive une Haïti où le bien-être est partagé par tous.
- Garry Lapierre, Syndicat du Personnel du Ministère de l'Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (SPEMENFP)
- Bathol Alexis, Syndicat pour la Défense des Employés de l'OAVCT (SDE/OAVCT)
- Esther Eloy, Association Nationale Syndicale des Transporteurs Visionnaires d'Haïti (ANSTVH)
- Louiné JOSEPH, Solidarité Syndicat pour une Nouvelle Haïti par l'Éducation (SONHED)
- Me Schelomith Dorvil, Syndicat des Huissiers de Justice de la République d'Haïti (SHJRH)
- Me Ainé Maten, Association Nationale des Greffiers d'Haïti (ANAGH)
- Ferdinand Jean-Mary, Collectif des Enseignants pour la Nouveauté de l'Éducation en Haïti (CENEH)
- Adler Alexis, Mouvement des Enseignants des Écoles Nationales (MEEN)
- Gene Gary, Rassemblement des Éducateurs Progressistes d'Haïti (REPDH)
- Josué Merilien, Union Nationale des Normaliens d'Haïti (UNNOH)
Annexe : l'intervention de l'Union syndicale lors du colloque organisé par la Platerforme française de solidarité avec Haïti
L’implication de l’Union syndicale Solidaires dans le soutien au peuple haïtien est un des aspects de nos activités syndicales internationales. Dire cela en introduction, ce n’est pas pour se dédouaner de nos responsabilités, mais pour préciser que, forcément, ce que nous pouvons faire est bien insuffisant par rapport aux besoins. Il n’est pas nécessaire de vous expliquer à quel point la solidarité internationale est nécessaire dans tant de régions du monde aujourd’hui.
Le soutien que nous pouvons apporter passe par la participation à des campagnes unitaires, de solidarité concrète, humanitaire comme on dit pour toutes ces zones géographiques où des personnes humaines tentent de survivre dans des conditions abominables. Notre soutien s’intègre au travail effectué dans le cadre du Réseau syndical international de solidarité et de luttes, que Solidaires coanime. D’ailleurs, des camarades de Solidaires, et d’autres organisations de ce Réseau syndical international de solidarité et de luttes, sont ces jours-ci à Rio pour les manifestations et rencontres organisées contre le sommet du G20. Ce n’est pas à côté du sujet : la mainmise des pseudos « grands de ce monde » sur des peuples comme celui d’Haïti est au cœur du problème.
La violence, la place prise par les gangs, sont des vrais sujets qu’il n’est pas question d’occulter. Déjà au moment de la chute du dictateur Jean-Claude Duvalier - dictateur héréditaire, couvert par bien des « démocraties », dont la France où il trouva refuge durant 25 ans, échappant ainsi au jugement pour « crimes contre l’humanité » – déjà en 1986 donc, les bandes armées s’étaient transformées en structures paramilitaires et sont devenues un acteur important de la vie sociale et un interlocuteur privilégié du pouvoir.
Certains gangs sont protégés et financés par des membres de la police et des gouvernements successifs, ce qui leur permet de contrôler actuellement plus d’un tiers du pays et des quartiers entiers de Port-au-Prince.
Mais on ne peut pas occulter la responsabilité des états colonialistes, impérialistes dans ce qu’est Haïti. Ce sera sans doute dit et redit lors de cette soirée, mais la dette illégale et illégitime payée à la France par Haïti illustre cet état de fait.
Depuis des années, Haïti est déstabilisé par une crise politique : la très récente destitution du Premier ministre en est un exemple mais un exemple parmi bien d’autres. Surtout, cette crise politique existe, certes, mais il y a aussi des crises humanitaire, socio-économique et sécuritaire. Les exigences du Fonds monétaire international, le FMI, ont très largement contribué à la situation dramatique que le peuple haïtien connait depuis maintenant des années. L’Etat haïtien contribue activement à cette politique. La pauvreté atteint un niveau qu’on a du mal à concevoir. On ne peut même pas parler de système de santé publique ou d’éducation, tellement tout cela a été détruit, toujours sous l’effet des politiques capitalistes, colonialistes, impérialistes. Derrière les termes comme « l’ajustement structurel » c’est la misère, le choléra, la violence, la mort. Le taux d’inflation dans le pays était de 33,98% en 2022 et 36,81% en 2023 ; 129,13 points sur les 5 dernières années ; ce sont les chiffres d’experts en la matière (FMI, OCDE et Banque mondiale). La conséquence de ces politiques orchestrées par les institutions financières des capitalistes c’est aussi, selon des chiffres récents, 700 000 « déplacé⸳es internes », dont on imagine les conditions de vie, de survie plutôt. 700 000 en rapport à la population haïtienne, c’est à peu près comme s’il y avait plus de 4 millions de personnes « déplacées » en France. De même les 8 000 victimes de violence dénombrées depuis le début de l’année 2024 - 8 000 morts - cela équivaut à près de 50 000 personnes à l’échelle de la France.
L’intervention de forces militaires étrangères pour « rétablir l’ordre démocratique » comme disait Biden – c’était donc avant Trump ou plus exactement entre Trump et Trump -, l’intervention de forces militaires, n’est évidemment pas une solution soutenable. Pas plus qu’en Palestine ou en Ukraine, l’occupation militaire, le colonialisme, l’impérialisme ne sont acceptables en Haïti !
Si la communauté internationale veut vraiment aider Haïti autrement que par des déclarations compassionnelles, elle doit imposer l’annulation totale et immédiate de la dette publique extérieure du pays, l’abandon des politiques économiques dites libérales, mais aussi exiger le remboursement de la dette illégale payée par Haïti à la France ainsi que la restitution des 500 mille dollars (de l’époque) constituant les réserves d’or volées dans la Banque nationale de la République d’Haïti, en décembre 1914, par les Américains, après dix ans d’occupation. La France et les Etats-Unis ont colonisé et occupé le pays et, loin de contribuer à son émancipation ensuite, la France et les États-Unis se sont octroyés des dédommagements (dédommagements de quoi !) démentiels !
Il est clair que pour une partie de celles et ceux qui prétendent diriger le monde, la faute originelle du peuple haïtien réside dans sa victoire contre l’esclavage et dans l’établissement de la première République d’un peuple Noir. Capitalisme, exploitation, colonialisme, racisme, c’est cela qui prévaut et qui conduit à la catastrophe que nous connaissons.
Pour en revenir à ce qui est possible de faire, il y a bien évidemment les campagnes unitaires, les soutiens humanitaires, la solidarité concrète, comme je le disais au début de cette intervention. En tant qu’organisation syndicale, parce que nous nous adressons aux travailleuses et aux travailleurs, nous avons quelques responsabilités spécifiques :
D’abord faire connaitre et soutenir les positions, les demandes, les revendications des organisations syndicales qui luttent sur place, dans des conditions dont chacun et chacune comprend la difficulté.
Ensuite, informer de la situation dans ce pays, de la situation du peuple haïtien. Sue ce sujet, comme sur bien d’autres, il est important qu’une information non biaisée, authentique, circule.
L’Union syndicale Solidaires – comme sans aucun doute bien d’autres forces syndicales françaises – est disponible pour contribuer à ce que naisse ou renaisse un Haïti digne, souverain et libre de toute occupation !