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Syndicalisme et unité populaire sous le gouvernement Milei
CGT - Rojo y negro - Jacobo Rivero
Texte original paru dans Rojo y negro, mensuel de la Confederación General del Trabajo.
Beto Pianelli transmet « l'argentinité », il aime entrer dans la conversation par l'humour et après deux phrases, il parait être une vieille connaissance. Il montre ses tatouages, dont un sur l'avant-bras gauche avec Carlos Gardel, Maradona, la tribune de Boca Juniors et un couple dansant le tango. Sur le même bras, sous la manche de sa chemise, il porte le logo du syndicat dont il est le secrétaire général : Asociación Gremial de Trabajadores del Subterráneo y Premetro [AGTSYP - MetrodelegadXs - organisation qui est membre du Réseau syndical international de solidarité et de luttes], qui appartient à la Central de Trabajadoras y Trabajadores de la Argentina (CTA-T).
Il y a quelques années, dans une interview, tu as déclaré : "Nous nous sommes unis avec le diable et sa queue pour faire face à ce gouvernement". C'était lorsque Macri était au pouvoir. Aujourd'hui, avec Milei, qu’en est-il ?
Avec lui, encore plus ! [Rires] En fait, cette phrase n'est pas de moi, elle est d'un Ukrainien qui a dirigé l'Armée rouge, c'est celle de Léon Trotsky. Je l'utilise souvent parce que ce que nous avons devant nous, c'est le fascisme. À l'heure actuelle, les discussions tactiques que nous avons entre une forme ou une autre, entre réformistes ou révolutionnaires, sont reléguées au second plan. La nécessité d'un front des travailleurs, d'une unité des travailleurs, devient un élément central. En Argentine, nous vivons un processus d'unité, même avec des personnes dont nous n'attendions pas grand-chose.
À quoi ressemble cet espace d'unité ?
Par exemple, nous avons réussi à créer un bloc avec les organisations qui travaillent dans le domaine des droits de l'homme, qui sont très puissantes en Argentine et qui permettent de gouverner ou de ne pas gouverner. Il n'y a pas d'alternative en Argentine sans le soutien d'une partie des organisations de défense des droits de l'homme ; aujourd'hui, elles sont toutes ensemble avec les mouvements sociaux, les organisations féministes et syndicales. Milei a réussi à unir toutes les organisations, car même avec Macri, il y avait un secteur du syndicalisme qui n’y participait pas.
Peu après son entrée en fonction, le gouvernement de Javier Milei a dû faire face à sa première grève générale. Quel bilan ?
Il y a eu deux événements historiques dans cette première grève : d'une part, elle a scellé l'unité, de sorte que Milei a entamé son mandat avec un bloc unitaire contre le gouvernement. D'autre part, pour la première fois dans l'histoire, les Madres de la Plaza de Mayo et les Madres Línea Fundadora ont pris la parole lors d'une manifestation de la CGT (syndicat péroniste et majoritaire en Argentine). Ce dernier point est très important car, même avant le coup d'État de Videla, certains secteurs syndicaux avaient collaboré avec des éléments du coup d'État. Cette grève s’est concrétisée rapidement et a marqé le début d’un processus historique d'unité transcendant.
L'un des mouvements les plus attaqués par Milei est le féminisme, d'abord en démantelant le ministère de la femme, puis en fermant le sous-secrétariat à la protection contre la violence de genre. Pourquoi une attaque aussi virulente dans un pays où les féminicides sont monnaie courante ?
Lorsqu'il y a un processus d'approfondissement des droits, il y a toujours une réaction, mais cette réaction peut être plus ou moins forte. Milei doit être compris en fonction des limites du processus populaire qui s'est ouvert ces dernières années, depuis la crise de 2001 jusqu'à aujourd'hui. Il y a eu des processus qui n'ont pas attaqué le capitalisme mais qui ont amélioré la distribution des richesses d'un point de vue qualitatif grâce à des politiques néo-keynésiennes, mais cela a eu une limite, cela n'a pas été approfondi, il n'y a pas eu de propositions pour l'avenir. Cela a conduit tout d'abord au gouvernement de droite de Macri, puis à celui d'Alberto Fernández, qui a été rattrapé par la pandémie et n'a pas repris le chemin tracé par Cristina Kirchner, et enfin à celui de Milei. Tout cela a conduit à une période de réduction des dépenses où une partie de la société se demande avec déception : "Combien de temps cela va-t-il durer ? La seule sagesse de Milei est de parler de "caste", dont nous savons tous qu'elle existe, y compris dans les syndicats, et c'est ainsi qu'il réussit à faire voter pour lui une partie importante de la société et les secteurs les plus vulnérables. Avec une politique qui, soit dit en passant, est en train de les liquider en seulement six mois, de sorte que leur attaque contre le féminisme fait partie de leur politique populiste fascisante.
Au-delà du contexte actuel, quelle est la situation du syndicalisme en Argentine ?
Il y a trois grandes organisations. La plus importante est la CGT, puis il y a les deux CTA. La première n'est pas homogène, il y a différents courants qui expriment parfois même des points de vue antagonistes. La CGT, avec ses différences internes, et les deux CTA réagissent aux processus historiques du passé. Contrairement au cas espagnol, les différences syndicales ne sont pas idéologiques. Dans ce contexte, même le secteur le plus consensuel et pro-entreprise de la CGT se trouve actuellement dans le bloc qui s'oppose à Milei.
Sur ton compte Twitter, on peut lire une phrase du journaliste Rodolfo Walsh, arrêté et disparu pendant la dictature : "La terreur est basée sur l'isolement". Le processus d'unité dont tu parles va-t-il à l'encontre de cet isolement qui profiterait au fascisme ?
Tout à fait. Ma position est que la lutte contre Milei se passe bien. Je ne critique pas la CGT argentine ou les mouvements sociaux, il y a toujours des gens qui veulent aller plus vite, je crois qu'ils agissent bien dans un plan collectif de lutte qui s'exprime de différentes manières : la grève générale, les luttes des 8 et 24 mars, la marche étudiante, les mobilisations du 1er mai... Il y a une action unie et cela contrecarre un Milei qui voyage dans le monde entier.
Que devient le kirchnérisme dans cette nouvelle phase ?
Le kirchnérisme est dans un processus de reconstruction ou de refondation. Il a eu une limite, il a interprété une période, mais la crise agraire a réveillé une oligarchie qui a ensuite embrassé Macri et a conduit au gouvernement d'Alberto Fernández. La question du leadership en Amérique latine, et pas seulement en Argentine, est très forte. Avec Cristina, c'était la même chose qu'avec Chávez, Lula, Pepe Mujica ou Correa... Le leadership populaire est quelque chose qui est ressenti très fortement, même s'il s'agit d'un processus collectif. Mais Cristina ne peut plus être ce qu'elle a été, parce qu'il y a eu beaucoup d'erreurs, parce qu'elle a aussi fait partie du gouvernement d'Alberto Fernández. Aujourd'hui, cette question est débattue et dans la lutte pour le leadership, je pense qu'il est clair qu'un nom se détache, celui d'Axel Kicillof, gouverneur de la province de Buenos Aires, qui ne vient pas du péronisme mais plutôt du marxisme. Le 1er mai dernier, Kicillof était présent à la manifestation de la CGT avec toute son équipe.
Tu ne penses pas que, précisément après ce qui s'est passé ces dernières années, il est nécessaire de séparer la question gouvernementale de la lutte syndicale et des mouvements sociaux ?
Bien sûr, un syndicat est un front de travailleurs, et si on ne se concentre pas sur la lutte que nous menons pour défendre les droits collectifs et individuels des travailleurs, nous devenons quelque chose d'autre. Cela ne signifie pas qu’on ne doit pas intervenir dans la politique, car si nous ne le faisons pas, d'autres le feront à notre place. La CTA est n syndicat autonome, mais nous ne sommes pas stupides, nous ne jouons pas le jeu de la droite. Nous devons intervenir, évidemment avec des tensions, mais cela ne doit pas nous empêcher de soutenir, de défendre ou d'affronter quand c'est nécessaire. Dans le processus que nous vivons actuellement, nous avons tous été battus et nous devons être clairs à ce sujet. L'expérience argentine doit être utile à ce débat. Il ne faut pas déconner, ce qui est important ici, c'est le modèle de société que nous voulons, quelle est la perspective. Si on n'a pas un autre imaginaire à proposer à la société que celui proposé par Milei, il n'y aura pas de changement parce que, comme le dit un historien, aujourd'hui il semble plus facile d'imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme. Et c'est cela qu'il faut briser dans l'imaginaire social, construire une alternative au capitalisme et à la fin du monde, c'est une tâche nouvelle.