Rencontre avec Issa Boukari, Secrétaire général du Syndicat national des travailleurs du secteur industriel du Togo (SYNATSITO)
Le Réseau
Quelques mots pour présenter le syndicat ?
Le SYNATSITO est né en 2018, à la suite d’une grève dans le secteur de la métallurgie. Le syndicat qui était alors présent dans notre entreprise s’est révélé être bien plus soucieux des revendications des employeurs que de celles des travailleurs et travailleuses. Ne serait-ce que faire respecter nos droits ne l’intéressait pas ! Avec un collègue, Djibrill qui est aujourd’hui en charge des relations internationales du SYNATSITO, nous avons pris l’initiative de créer et offrir une alternative. Cela nous a valu une intense campagne de dénonciation et de menaces à notre égard. Parce que nous avions un bandeau rouge autour de la tête et au bras, parce que nous refusions que les patrons nient nos droits, on nous a accusé de tous les maux ; les menaces ont été si fortes que nous avons dû dormir ailleurs que chez nous durant quelques temps. C’est une situation difficile, bien entendu, mais à un moment donné il faut prendre relever la tête, s’organiser collectivement pour résister, revendiquer nos droits et proposer des perspectives nouvelles.
Tu as cité Djibrill, mais toi, tu es le secrétaire du syndicat ; quel est ton itinéraire ?
Originaire du nord du Togo[1], plus précisément dans la préfecture de l’Oti, j’ai une formation de comptabilité, j’ai le BTS comptabilité de gestion. Mais je me suis aussi autoformé en informatique.
Professionnellement, je suis magasinier, car le patronat me refuse toute évolution au sein de l’entreprise ; cela a bien sûr des conséquences, tant sur le travail exercé que pour le salaire. Cela se passe à la SOTOTOLES qui est la plus grande entreprise métallurgique du pays ! Syndicalement, j’ai donc participé à la création du SYNATSITO, mais auparavant j’avais été chargé de l’éducation ouvrière dans le précédent syndicat.
Le syndicat est organisé sur le plan interprofessionnel ?
Oui, nous avons rejoint la centrale Synergie des Travailleurs du Togo (STT), qui se veut indépendante des patrons, des politiques, du pouvoir. Synergie des travailleurs du Togo a été créée en 2013, autour du Syndicat national des praticiens et hospitaliers du Togo (SYNPHOT), sorti de la Confédération Syndicale des Travailleurs du Togo (CSTT). L’organisation s’est officiellement transformée en centrale interprofessionnelle en 2015. Le SYNATSITO rassemble 8 300 membres répartis dans 26 sociétés.
Le syndicat couvre le syndicat industriel ; qu’est-ce que ça comprend essentiellement ?
Avant tout, il faut savoir que la majorité des entreprises et donc des travailleurs et travailleuses sont dans ce qu’on nomme les zones franches ; c’est-à-dire là où même « légalement » il n’y a pas de droits pour les travailleurs et les travailleuses, et où il y a tous les droits pour les exploiteurs. Ca se traduit par une immense précarité, de très nombreux accidents de travail, etc. Une grande partie de l’activité économique du Togo tourne autour du phosphate. Dans nombre d’entreprises, les travailleurs et travailleuses sont en présence d’amiante, journellement et durant des années : aucune mesure n’est prise. Le ministère du travail facilite l’implantation des entreprises dans les zones franches. Le patronat « arrose » les responsables politiques qui, ainsi, les soutiennent.
L’entreprise Dodoplast est un exemple de cette compromission des pouvoirs publics. Il s’agit d’une société libanaise de plasturgie, installée en zone franche depuis plus de dix ans. La loi togolaise prévoit qu’arrivé à ce terme, une entreprise doit quitter la zone franche et se soumettre aux quelques obligations sociales et économiques en vigueur. Dans nombre de cas, il n’en n’est rien ; quand les dix ans vont être atteints, les entreprises changent de statut, de nom et elles demeurent en zone franche !
Dodoplast justement, c’est une lutte actuelle ?
C’est une des entreprises libanaises dont le patronat, familial, pille exploite notre peuple et pille nos richesses. Le DG de cette société est tout puissant au Togo. Il faut avoir en tête que derrière chaque grand patron de société, se cache une autorité publique, un député ou un ministre, qui bénéficie de certaines largesses …. En retour, ceux-ci soutiennent activement les directions d’entreprise contre les travailleurs et travailleuses. C’est ce qui se passe avec Dodoplast. Inspection du travail, ministère du travail, pouvoirs publics locaux et nationaux, tout le monde est « arrosé » et personne n’exige des patrons qu’ils respectent la loi, seulement cela. Le syndicat a organisé la lutte collective contre les licenciements, appelant notamment le personnel à ne pas signer les licenciements. Ensuite, il y a eu des assemblées générales, des sit-in, des meetings ; tout ceci sous la pression de la police et de l’armée. Nous avons élargit l’action aux quatre autres syndicats présents dans la zone franche. Pour le moment, la situation est bloquée ; si une partie des 330 personnes licenciées a retrouvé du travail, ce n’est pas le cas des plus âgées. Quatre collègues sont décédées, car la misère, la précarité, l’impossibilité de se soigner font des ravages.
A l’occasion de la rentrée scolaire, le syndicat organise une campagne solidaire ?
La rentrée se fait le 25 septembre. Nous voulons offrir des kits scolaires (sacs, cahier, stylos, livres…) aux enfants des camarades qui sont au chômage. Le soutien syndical international est le bienvenu ! [la fédération SUD Education a organisé une collecte de soutien, une première somme a été envoyée ; un nouveau versement solidaire va être effectué[2]]
Au Togo comme ailleurs, la lutte des classes demeure une réalité !
D’ailleurs, les employeurs préfèrent être condamnés à deux millions d’amendes par la justice que de régler le quart de cette somme aux travailleurs et travailleuses !
En quoi le Réseau syndical international de solidarité et de luttes est-il utile ?
Rendre visible la solidarité internationale de notre classe sociale est très important. Et cela pèse dans le rapport de forces. On le voit à travers les campagnes d’information, les messages de soutien, les adresses aux directions d’entreprise, etc. Une anecdote : alors que la direction de Dodoplast avait rompu tout contact avec nous, lorsque j’étais à l’aéroport de Lomé pour venir à cette 5ème rencontre du Réseau syndical international de solidarité et de luttes, j’ai eu un coup de fil de la DRH. Elle s’inquiétait : « j’espère que vous n’allez pas parlé de nous à tout le monde à Sao Paulo ! »
Propos recueillis par Christian Mahieux
[1] Quelques éléments sur le pays : un peu plus de 8 millions d’habitants et habitantes ; Gnassingbé Eyadéma accède au pouvoir en 1967 et y reste jusqu’à sa mort, 38 ans plus tard. Son fils, Faure Gnassingbé, lui a succédé en 2005 et est toujours le président en exercice.
[2] Fin octobre, les camarades du SYNATSITO adressait ce message à la fédération des syndicats SUD Education : « votre marque de solidarité en cette période difficile que traversent les travailleurs Dodoplast affiliés à SYNATSITO nous va droit au cœur, nous vous sommes profondément reconnaissants pour toutes les initiatives, votre amitié et soutien ont été pour nous une source de réconfort indéfectible, les parents et les enfants vous disent merci, merci. Grâce à votre soutien financier, nous avons pu mener la remise de kits scolaires aux enfants nécessiteux au nombre de 193. Les parents ont exprimé leurs soulagements et remercié SYNATSITO et SUD Education pour cette aide précieuse. »