Grèves massives d’infirmières au Texas et au Kansas

Ceux qui connaissent la théologie catholique auront entendu parler des «sept péchés capitaux» énumérés par le pape Grégoire 1er : l'orgueil, la cupidité, la colère, l'envie, la luxure, la gourmandise et la paresse, autant de fautes morales graves dont on pense qu'elles conduisent à d'autres transgressions. Comme le dit la Bible, «on ne peut servir à la fois Dieu et l'argent» (Matthieu 6:24). Il est donc ironique que les cadres hautement rémunérés qui dirigent le réseau des hôpitaux catholiques de l'Ascension aient si bien embrassé le péché de la cupidité.

En 2021, Ascension - qui gère 139 hôpitaux dans 19 États différents - a déclaré un revenu net de plus de 6,4 milliards de dollars et des réserves de trésorerie de 19,5 milliards de dollars. En tant que chaîne d'hôpitaux à but non lucratif, elle n'est pas tenue de payer des impôts fédéraux. Les dirigeants d'Ascension dirigent également une société d'investissement qui gère plus de 41 milliards de dollars, ainsi qu'une société de capital-investissement d'une valeur d'un milliard de dollars. Malgré la richesse de l'entreprise, Ascension a toujours choisi de fermer les hôpitaux desservant les quartiers défavorisés et de relocaliser ses installations dans des quartiers plus riches (c'est ainsi que l'on peut résumer l'expression «bénis soient les pauvres»), selon une enquête menée en 2022 par le Wall Street Journal. La direction de l'hôpital a également longtemps refusé d'investir ses ressources financières considérables dans son personnel, ce qui a entraîné un manque chronique d'effectifs.

Deux mille infirmières diplômées de trois établissements d'Ascension à Austin (Texas) et à Wichita (Kansas) ont entamé cette semaine une grève historique d'une journée pour changer cette situation.

Elles étaient déjà entrées dans l'histoire l'année dernière, lorsque 900 infirmières de l'Ascension Seton Medical Center à Austin ont voté pour rejoindre le National Nurses Organizing Committee/National Nurses United (NNOC/NNU), créant ainsi le plus grand syndicat d'infirmières du secteur privé de l'État. Il s'agissait d'une réalisation massive dans un État dit de «droit au travail», gouverné par des politiciens hostiles aux travailleurs [loi anti-syndicale permettant de bénéficier d’une convention collective sans être syndiqué·e ].

Deux mois plus tard, 650 infirmières du Kansas ont suivi leur exemple, rejoignant le NNOC/NNU pour former le premier syndicat de Wichita dans un hôpital du secteur privé, qui se trouve être le plus grand hôpital de la ville. Trois cents autres infirmières de l'hôpital Christi St. Joseph de Wichita ont voté en faveur de l'adhésion au syndicat en mars 2023.

Les trois unités de soins sont bloquées dans des négociations contractuelles avec Ascension depuis des mois et ont eu du mal à obtenir de l'hôpital qu'il reconnaisse leurs préoccupations. Les niveaux de dotation en personnel ont été l'une des principales pommes de discorde entre le syndicat et la direction de l'Ascension. Moins d'infirmières signifie une charge de travail plus lourde pour les travailleurs et une diminution de la qualité des soins pour les patients. Les hôpitaux qui réduisent leurs budgets de personnel économisent de l'argent, mais infligent des souffrances physiques et émotionnelles à leurs employées. Les infirmières de tout le pays se sont exprimées sur ce problème avant même que la pandémie de COVID-19 ne frappe et n'exacerbe la situation, et celle-ci n'a fait qu'empirer. La grève du 27 juin 2023 a été déclenchée après que la direction de l'Ascension a rejeté à plusieurs reprises les préoccupations des infirmières en matière de dotation et de maintien en poste.

« La direction d'Ascension a poussé les infirmières dans cette position en n'écoutant pas ou en ne mettant pas en œuvre nos solutions pour résoudre la crise du personnel», a déclaré Monica Gonzalez, infirmière  dans l'unité de neurologie du centre médical d'Ascension Seton. «La direction de l'Ascension a le pouvoir de conclure une bonne convention collective dès maintenant, si elle veut vraiment augmenter les effectifs et améliorer la capacité des infirmières à fournir des soins sûrs aux patients. »

La direction n'a pas bien réagi à la grève. Plus tard dans la journée, on a appris qu'Ascension prévoyait de mettre les infirmières grévistes en lock-out pour trois jours supplémentaires. La grève n'a pas surpris la direction. En effet, lorsque les infirmières font grève, elles préviennent toujours leur hôpital au moins dix jours à l'avance afin que d'autres dispositions puissent être prises pour les soins aux patients. Après avoir voté à une écrasante majorité pour autoriser la grève, les trois sites ont remis leurs préavis de grève au siège d'Ascension à Saint-Louis, dans le Missouri, au début du mois. Les infirmières du NNOC/NNU sont impatientes de retourner auprès de leurs patients, de sorte que le lock-out proposé semble être une mesure purement punitive.

«Les infirmières sont énergisées et unies après la grève d'hier», a déclaré Sara Wilson, infirmière diplômée à Ascension Via Christi St. Francis à Wichita, lors d'un entretien avec Truthout. «En même temps, nous sommes frustrées par cette organisation à but non lucratif qui est prête à mettre ses propres infirmières en lock-out - le personnel qui s'occupe de la communauté depuis des années et qui veut s'occuper de nos patients aujourd'hui», a-t-elle ajouté. «Nous espérons qu'Ascension pourra s'asseoir à la table des négociations et nous offrir des contreparties décentes aux propositions qu'elle a formulées depuis des mois.

Les infirmières espèrent que les séances de négociation avec Ascension, prévues jusqu'à la fin du mois d'août, aboutiront à des résultats.

«La grève est très stimulante», a déclaré Vanessa Villarreal, infirmière diplômée à l'Ascension Seton Medical Center à Austin. «J'ai hâte d'obtenir un premier contrat solide pour pouvoir quitter le travail sans avoir l'impression d'avoir été traînée dans la boue et pour inspirer d'autres infirmières à se dresser contre l'industrie hospitalière.»

Publié par Truhout