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Les travailleurs fédéraux s'organisent contre la prise de pouvoir des milliardaires
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Les travailleurs fédéraux s'organisent contre la prise de pouvoir des milliardaires

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Joe DeManuelle-Hall LaborNotes Trad P Le Trehondat

Une mer de visages dans une foule de manifestants. Certaines pancartes imprimées disent « Stop à la prise de pouvoir des milliardaires », « Ne touchez pas aux données des travailleurs », « Debout, unissez-vous, battez-vous » et « Personne n'a élu Musk. Certaines pancartes écrites à la main disent « Congrès, WYA [où vous êtes] ? » et « Il [Musk]ne vient même pas ici ! »

La deuxième administration Trump a les travailleurs fédéraux dans le collimateur

Elon Musk (l'homme le plus riche du monde) et son soi-disant Département de l'efficacité gouvernementale (qui n'est pas réellement un département gouvernemental) sont à la tête de cette initiative. Trump et Musk ont adopté une approche radicale : geler les embauches, fermer des agences entières, ordonner aux travailleurs de ne plus se présenter au travail, proposer des départs anticipés à 2 millions de travailleurs, ordonner aux travailleurs en télétravail de retourner au bureau en violation des contrats syndicaux et licencier en masse les travailleurs encore en période d'essai. Dès son premier jour au pouvoir, Trump a multiplié les décrets ouvrant la voie à la révocation des fonctionnaires fédéraux dont les postes sont protégés par les règles de la fonction publique, et ciblant les politiques de travail à distance et les efforts en matière de diversité, d'équité et d'inclusion. Ces changements semblent conçus pour semer le chaos parmi les fonctionnaires fédéraux, leurs syndicats et ceux qui dépendent des programmes fédéraux. Ces décisions ont été nombreuses et rapides, sans tenir compte, semble-t-il, de la légalité. De nombreux changements ont été contestés en justice et certains ont déjà été stoppés par les tribunaux. Mais si seuls certains seront finalement maintenus, les dégâts seront nombreux et difficiles à réparer. Le chaos a pour but d'occuper, d'effrayer, de démoraliser et de mettre sur la défensive les opposants de Trump.

Les syndicats de l'dministration fédérale ont commencé à réagir en intentant des poursuites et en organisant des rassemblements

Et les travailleurs s'organisent pour partager des informations et commencer à riposter. Un groupe de base appelé Federal Unionists Network (Réseau des syndicalistes fédéraux) prévoit une journée d'action nationale «Save Our Services » (Sauvez nos services) le 19 février, ciblant les concessionnaires de la société automobile Tesla de Musk. « Je n'ai jamais vu un milliardaire distribuer le courrier » a déclaré Mark Smith, éducateur auprès des patients à l'Administration des vétérans à San Francisco et président de la section locale 1 de la Fédération nationale des employés fédéraux (NFFE). « Je n'ai jamais vu un milliardaire éteindre un incendie de forêt. Je n'ai jamais vu un milliardaire s'assurer que les gens reçoivent leurs chèques de sécurité sociale à temps. Je n'ai jamais vu un milliardaire répondre à l'appel d'un vétéran suicidaire sur une ligne d'assistance téléphonique. Je ne fais donc pas confiance à un milliardaire pour décider de l'avenir de nos services publics, et c'est pourquoi nous nous battons pour que ce milliardaire ne s'en mêle pas. » (Toutes les personnes citées dans cet article se sont exprimées à titre personnel auprès de Labor Notes, et non en tant que représentantes de leurs agences ou employeurs.)

Un rythme vertigineux

Le gouvernement fédéral est le plus grand employeur des États-Unis, avec 2,4 millions de travailleurs civils (hors service postal). S'attaquer à cette main-d'œuvre est devenu un élément central du programme de Trump. Lors de son premier mandat, il a affirmé que l'« État profond » et le « marais », c'est-à-dire les fonctionnaires,  sapaient constamment son action par leur inaction ou leur sabotage. Cette fois, avec une vigueur accrue (et plus de planification), et aidé par Musk et ses acolytes, Trump a pris un nombre vertigineux de mesures pour remodeler et saper les agences fédérales et la main-d'œuvre fédérale.

Trois mois avant la fin de son premier mandat, Trump avait signé un décret créant une nouvelle catégorie d'emplois fédéraux « à disposition », nommés pour des raisons politiques, dans lesquels son administration pouvait muter des travailleurs qui étaient généralement couverts par les protections de la fonction publique. Ces travailleurs pouvaient être licenciés beaucoup plus facilement. Biden a rapidement annulé cet ordre, mais lorsque Trump est revenu, il l'a immédiatement rétabli. Depuis, il a pris des mesures administratives pour se préparer à transférer un nombre inconnu de travailleurs vers ces postes dits « politiques/de carrière » (initialement appelés « Schedule F »).

Après avoir annoncé leur intention de supprimer des dizaines de milliers d'emplois, Musk et Trump ont envoyé un e-mail à 2 millions de fonctionnaires fédéraux leur offrant la possibilité de démissionner maintenant tout en étant payés jusqu'en septembre. L'e-mail reprenait celui envoyé aux employés de Twitter après que Musk ait racheté la société de médias sociaux, jusqu'à son en-tête « Fork in the Road ».

Parmi les travailleurs qui ont reçu l'e-mail se trouvaient des contrôleurs aériens. Il est apparu dans leurs boîtes de réception la veille d'un accident mortel à Washington, D.C. ; la tour de contrôle manquait de personnel. Musk, avec la bénédiction de Trump, a ciblé les agences une par une pour les soumettre à un examen minutieux et les fermer partiellement ou complètement. L'Agence américaine pour le développement international (US Aid), qui fournit une aide étrangère, a été fermée sans ménagement : 7 000 travailleurs ont été mis en congé administratif ou licenciés ; même la plaque signalétique de l'agence a été retirée de l'entrée de son siège.

Mille sept cents employés du Consumer Financial Protection Bureau (CFPB), créé à la suite de la crise financière de 2008 pour superviser le secteur des services financiers, ont reçu l'ordre de ne pas se présenter au travail et de mettre fin à nombre de leurs enquêtes. Quelques jours plus tard, des dizaines de ces travailleurs qui étaient encore en période d'essai - et donc, selon le gouvernement, non couverts par les protections syndicales - ont été licenciés dans un courriel envoyé après les heures de travail. Depuis, Trump a mis à la casse 200 000 autres travailleurs en période d'essai et a annoncé de profondes coupes dans les budgets de l'IRS, du ministère de l'Énergie, du Logement et du Développement urbain et du Service forestier.

Indignation et résistance

Outre la confusion et la peur, ces mesures ont provoqué l'indignation des employés fédéraux. Dans la semaine qui a suivi l'e-mail « Fork in the Road », des centaines de travailleurs se sont tournés vers Reddit et d'autres réseaux sociaux pour dénoncer l'offre comme une arnaque inapplicable. Autre mesure de résistance, ou du moins de méfiance : les travailleurs n'ont pas été nombreux à accepter l'offre de démission, malgré la vague menace de futurs licenciements. M. Musk a déclaré qu'il espérait que 5 à 10 % des fonctionnaires éligibles accepteraient l'offre ; le chiffre communiqué par le gouvernement montre que 75 000 d'entre eux, soit environ 3 %, l'ont fait. À titre de comparaison, environ 150 000 fonctionnaires partent à la retraite ou démissionnent chaque année. Moins de 24 heures après avoir reçu les e-mails les informant de leur licenciement, les travailleurs en période d'essai du CFPB ont organisé des piquets de grève à New York, Washington D.C., San Francisco et Chicago.

 « Mardi soir, nous avons tous commencé à recevoir ces e-mails énigmatiques sur nos comptes personnels », a déclaré Chris Fasano, avocat à la division de l'application de la loi du CFPB et membre du syndicat National Treasury Employees Union Chapter 335. « Nous avons immédiatement passé un appel à 60 ou 70 d'entre nous. Nous avons parlé de tout ce qui n'allait pas, et de la manière dont nous devions informer la direction nationale [du syndicat] et élaborer une stratégie juridique, bien que cela ne suffisait pas et que nous voulions descendre dans la rue. » À 22 heures, ils avaient décidé d'organiser un piquet d'information le lendemain à midi. Ils se sont empressés de contacter leurs collègues et leurs alliés, et de fabriquer des pancartes et des tracts. À New York, « nous nous attendions à une dizaine de personnes », a déclaré Fasano. « Il y en a eu une centaine ». Parmi eux se trouvaient des employés du CFPB (licenciés ou non), d'autres membres du NTEU, ainsi que des membres d'autres syndicats et groupes communautaires.

Hai Binh Nguyen, avocat chargé de l'application de la loi au CFPB, a contribué à l'organisation du rassemblement de San Francisco et a fait état d'un élan de soutien similaire. « Le Bureau et notre travail bénéficient d'un large soutien », a déclaré Binh. « C'était incroyable de voir que tout le monde comprenait que nous ne sommes que la première pièce du domino à tomber. »

Augmentation du nombre de syndiqués

Les fonctionnaires fédéraux sont répartis dans une poignée de syndicats, dont les plus importants sont l'American Federation of Government Employees, qui représente 800 000 travailleurs, et le NTEU, qui en représente 150 000. Il y a aussi la NFFE, une filiale des Machinistes ; l'IFPTE (Ingénieurs professionnels et techniques), qui représente 30 000 travailleurs dans des agences telles que la NASA, le Corps des ingénieurs de l'armée et la Tennessee Valley Authority ; et l'association National Nurses United, qui représente 15 000 infirmières à l'Administration des anciens combattants. Les syndicats de travailleurs fédéraux ont relativement peu de marge de négociation. Les salaires sont exclus des négociations : ils sont fixés par le Congrès et les augmentations de salaire doivent être adoptées par voie législative. Mais ils négocient sur les conditions de travail, comme la discipline, les horaires et le travail à distance. (Les postiers font exception : bien qu'ils travaillent pour le gouvernement fédéral, ils ont le droit de négocier collectivement et sont couverts par la loi nationale sur les relations de travail, au même titre que les travailleurs du secteur privé.)

Le secteur fédéral est un « atelier ouvert » : les travailleurs représentés par un syndicat ne sont pas tenus d'y adhérer. Ainsi, bien que l'AFGE représente 800 000 travailleurs, elle compte 321 000 membres. Alors que le NTEU représente 150 000 travailleurs, il compte 87 000 membres.

Mais l'AFGE et d'autres syndicats fédéraux ont signalé une augmentation significative du nombre de leurs membres depuis les élections et en particulier après l'investiture de Trump. Selon le Federal News Network, l'AFGE a gagné 8 000 membres en janvier et 8 200 au cours des dix premiers jours de février. Comparez cela aux 7 400 membres qu'il a gagnés en 2024, y compris les nouveaux lieux de travail syndiqués. «Nous avons constaté une augmentation massive du nombre de nouveaux membres», a déclaré Lauren Lieb, examinatrice des lois foncières au Bureau of Land Management (BLM) au Nouveau-Mexique, et présidente de section et déléguée syndicale en chef de la section 340 du NTEU, « y compris d'anciens récalcitrants qui se rallient enfin et s'engagent vraiment ». Le groupe BLM de Lieb s'est syndiqué relativement récemment, en 2020, et des travailleurs d'autres agences ont demandé comment faire de même.

Smith, du NFFE Local 1, fait état d'une augmentation similaire. Avec d'autres, il a commencé à organiser des sessions hebdomadaires « Syndicats 101 » à l'Administration des anciens combattants pour les travailleurs fédéraux ; il dit que 170 à 180 personnes participent chaque semaine pendant leur pause déjeuner pour en apprendre davantage sur les syndicats, ce qu'ils font, comment ils fonctionnent et les dernières nouvelles. Les réunions des membres attirent le plus grand nombre de participants jamais enregistrés en 25 ans d'histoire de la section locale.

L'AFGE et d'autres groupes de travailleurs ont organisé des rassemblements à Washington et dans tout le pays pour dénoncer les attaques. Les syndicats et d'autres organisations ont également intenté des poursuites judiciaires contre un certain nombre de mesures de Trump et de Musk, notamment le courriel proposant la démission, la tentative de faire sortir les travailleurs des catégories de la fonction publique et l'accès de Musk à des données sensibles du département du Trésor. Les actions en justice ont réussi à bloquer temporairement certaines modifications de politique, mais n'en ont pas encore annulé. Les poursuites judiciaires avancent lentement ; elles ne peuvent pas rivaliser avec le rythme effréné auquel Trump et Musk opèrent.

Un multiplicateur de force

Au niveau local, les militants établissent des liens entre les syndicats, en partageant des informations précises et des stratégies de riposte. L'une de ces innitiatives est le Federal Unionists Network (FUN), qui a ajouté des milliers de travailleurs fédéraux à ses listes dans un élan d'intérêt depuis les élections de novembre, par le biais de listes de diffusion, de discussions de groupe, de rencontres Zoom, ainsi que d'événements et de rassemblements. Le FUN est né de tentatives informelles entre syndicats pour faire pression sur Biden et les démocrates concernant les changements apportés aux politiques relatives aux travailleurs fédéraux, ainsi que des efforts de réforme au sein de certains syndicats fédéraux. Il a tenu sa première réunion lors de la conférence de Labor Notes 2024 à Chicago. « Cela a vraiment catalysé nos efforts » a déclaré Smith, qui est actif au sein du réseau. Après cela, dit-il, « FUN était en plein essor, un peu petit, plus informel, se développant plus lentement, puis tout à coup, il y a eu une urgence, et nous avons commencé à grandir et à nous développer très rapidement ». FUN a organisé une rencontre à Washington, D.C., pendant les conférences de l'AFGE et de l'IFPTE, réunissant des dirigeants syndicaux et des militants de huit agences fédérales pour discuter de la situation et de la manière dont ils relèvent le défi. Les sections syndicales du secteur fédéral sont extrêmement inégales. Certaines sont essentiellement des sections fantômes, avec moins de 10 % de membres et peu ou pas d'activité. Le FUN a donc également permis aux travailleurs d'obtenir des informations précises sur les attaques de l'administration et d'apprendre à s'organiser. « Nous avons pu partager des ressources telles que le dépôt de demandes d'informations, la coordination de stratégies que nous pouvons mettre en œuvre de manière indépendante au sein de nos propres sections locales. C'est un outil vraiment formidable et puissant pour rester dans la lutte » a déclaré Lieb.

« Historiquement, les sections syndicales des secteurs fédéraux ont été fragmentées, isolées, et il n'y a pas eu beaucoup de ressources pour les soutenir » a déclaré Smith. « Pouvoir entrer en contact avec des centaines de syndicalistes vraiment engagés dans tout le pays a été un multiplicateur de force. Les gens se développent en tant que leaders, militants, à un rythme si rapide parce qu'ils peuvent obtenir du soutien et de l'aide. »

Joe DeManuelle-Hall, publié par Labor Notes, traduction de Patrick Le Tréhondat

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