Grève dans l'automobile et enjeux environnementaux
Keith Brower – Trad. Patrick Le Tréhondat
La semaine dernière, des travailleurs ont tenu un piquet de grève à l'usine d'assemblage de Ford dans le Michigan, l'un d'entre eux portant une pancarte appelant à une transition vers les véhicules électriques (VE) sous l'impulsion des travailleurs. Sous la pression de la grève, General Motors a accepté de soumettre ses activités de fabrication de batteries électriques à l'accord-cadre national conclu avec le syndicat, et ce dernier entend obtenir la même chose chez Ford et Stellantis. L’un des enjeux les plus importants de la grève des travailleurs de l'automobile pourrait concerner des travailleurs qui n'ont pas encore été embauchés, dans des usines qui n'ont pas encore été construites. Au cours des dernières semaines, la grève a arraché aux trois constructeurs automobiles - Ford, General Motors et Stellantis - des concessions révolutionnaires qui auront d'importantes répercussions sur la transition vers les véhicules électriques (VE). Dépassant les stratégies de sécurité de l'emploi sans issue du passé - concessions et partenariats avec les entreprises -, le syndicat s'efforce de trouver des points d'ancrage pour lutter en faveur d'un avenir écologiste aux conditions des travailleurs.
Six mille emplois dans les quatre usines de batteries prévues par GM seront désormais couverts par l'accord national principal de l'UAW, plutôt que par un contrat distinct portant sur les bas salaires. Chez Ford et Stellantis, le syndicat a obtenu le droit de faire grève dans l'ensemble de l'entreprise en cas de fermeture d'usine au cours du prochain contrat - une victoire importante compte tenu des inquiétudes concernant la sécurité de l'emploi dans le cadre de la transition vers les véhicules électriques. Aujourd'hui, le syndicat cherche à consolider toutes ces victoires dans les trois entreprises.
Pendant une génération, des patrons hostiles et des politiciens antisyndicaux ont exclu l'UAW de tous les secteurs de l'industrie automobile, à l'exception des trois grands. La transition vers les véhicules électriques aurait pu entraîner le syndicat dans une spirale descendante, car les entreprises prévoyaient de faire passer la chaîne d'approvisionnement électrique sur des conventions collectives de bas niveau, voire à rien du tout. Au lieu de cette sombre version de l'avenir des véhicules électriques, cette grève a permis à l'UAW de passer à l'offensive en matière d'organisation, tant dans les usines de batteries des Big 3 que dans les usines automobiles non syndiquées.
Triomphe de la batterie à General Motors
Le président de l'UAW, Shawn Fain, a annoncé le 6 octobre que General Motors (GM) avait accepté par écrit de placer ses activités de fabrication de batteries électriques sous le régime de l'accord-cadre national conclu avec le syndicat. Ce contrat inclut actuellement les usines d'emboutissage, d'assemblage et de transmission, ainsi que les centres de pièces détachées.
«Cela fait des mois que l'on nous dit que c'est impossible», a déclaré M. Fain. «On nous a dit que l’avenir des véhicules électriques devait passer par des reculs sociaux. Nous les avons pris au mot. »
Les PDG ont insisté sur le fait qu'il était légalement impossible d'intégrer le travail sur les batteries dans leurs accords nationaux en raison d'une mesure qu'ils avaient eux-mêmes prise : le transfert de leurs plans de chaîne d'approvisionnement de véhicules électriques (VE) dans des «coentreprises» avec des entreprises électroniques étrangères telles que LG et SK On en Corée du Sud. Mais sous la pression de la grève, GM a dû trouver un moyen de contourner ces problèmes juridiques. «Les gens ici étaient très heureux» a déclaré Shana Shaw, représentante de la section locale 2250, qui travaille à l'assemblage dans l'usine GM de Wentzville, dans le Missouri. «C'est une grande victoire. »
Les travailleurs de l'usine de batteries Ultium Cells à Lordstown, dans l'Ohio, une coentreprise entre GM et LG, ont voté en faveur de l'adhésion au syndicat en décembre et ont négocié un premier contrat. Les 1 300 travailleurs de l'usine bénéficiaient d'une grille salariale qui commençait à 16,50 dollars de l'heure et passait à 20 dollars en sept ans. Dans le cadre d'un accord provisoire conclu en août, ils ont obtenu une augmentation de 3 à 4 dollars et des milliers de dollars d'arriérés de salaire. La proposition de GM inclut l'usine Ultium dans l'Ohio, ainsi que les nouvelles usines construites dans l'Indiana, le Michigan et à Spring Hill, dans le Tennessee. Dans le cadre de l'accord-cadre de GM, le salaire maximum est de 32 dollars, et il devrait augmenter d'au moins 20 % pendant la durée de la nouvelle convention. Les travailleurs d'Ultium ont également exigé des normes plus strictes en matière de santé et de sécurité après de multiples déversements [de toxiques] et accidents survenus dans l'usine de VE. Le Service de la sécurité et de la santé au travail (Occupational Safety and Health Administration) a accusé les dirigeants de l'usine d’avoir «omis de faire participer et de former les travailleurs aux procédures de sécurité et d'intervention en cas d'urgence». En vertu de l'accord-cadre, les comités de sécurité syndicaux disposeront désormais d'un temps rémunéré et de droits contractuels leur permettant d'inciter la direction à remédier aux dangers présents dans les ateliers.
Une porte ouverte ?
La nouvelle de la victoire de l'usine de batteries s'est rapidement répandue chez GM Spring Hill, où les véhicules à essence et électriques sont fabriqués sur la même chaîne. L'entreprise construit une grande usine de batteries, dans le cadre de sa coentreprise Ultium. «Pour être honnête, ce fut un choc incroyable», a déclaré William Pigg, ouvrier chargé de l'assemblage des châssis. «GM, Ford, Stellantis ont les moyens de le faire. Ils nous ont dit qu'ils ne pouvaient pas le faire, puis ils l'ont fait».
A Spring Hill, il y a un autre problème lié aux véhicules électriques que le syndicat veut éliminer. Comme condition à la fabrication d'un véhicule électrique dans l'usine, GM a exigé de sous-traiter les travaux de peinture et de moulage par injection à GM Subsystems, une société écran qui a un contrat avec l’UAW distinct dans lequel les salaires commencent à 15 dollars et montent à 17 dollars au bout de quatre ans. Bien que les VE n'aient rien changé au travail de peinture et de plastique, les membres de l'UAW couverts par l'accord-cadre ont été soudainement licenciés, contraints de se débrouiller pour obtenir des postes dans d'autres parties de l'usine.
Pour M. Pigg, la question clé est de savoir comment les travailleurs actuels pourront être transférés vers les emplois dans les batteries. Conserveront-ils leur ancienneté et leur salaire ? Ces détails sont encore en cours de discussion à la table des négociations. Les droits de transfert dans les usines de batteries pourraient changer la vie de milliers de travailleurs de l'automobile qui ont quitté des usines fermées. «C'est une opportunité pour les travailleurs de mon usine d'être transférés chez eux», a déclaré Tony Totty, président de la section locale 14. Des centaines de personnes ont été transférées à l'usine de transmission de GM à Toledo depuis l'usine fermée de Lordstown, à 300 miles de là, où la première grande usine de batteries de GM se profile désormais à l'horizon.
Une défense combative chez Ford
L'UAW va maintenant tenter de pousser Ford et Stellantis à intégrer également leurs usines de batteries dans le contrat-cadre. Stellantis est le plus en retard dans le déploiement des VE, mais a annoncé deux usines de batteries en partenariat avec Samsung à Kokomo, dans l'Indiana, nécessitant 3 000 travailleurs.
Ford a déjà deux usines de batteries en construction dans le Kentucky et le Tennessee, avec l'entreprise d'électronique SK On, ainsi qu'une usine filiale à 100 % de Ford prévue à Marshall, dans le Michigan, où l'entreprise a récemment interrompu les travaux de construction. Selon le PDG Jim Farley, ces trois usines devraient embaucher 7 500 personnes, dans le cadre de l'objectif de l'entreprise de quadrupler la production de véhicules électriques d'ici à la fin de l'année prochaine.
Ford est allé jusqu'à tenir une conférence de presse le 29 septembre - la première depuis la grève - dans laquelle il a accusé l'UAW de retarder un accord contractuel «pour des usines de batteries qui ne seront pas mises en service avant deux ou trois ans». M. Farley a déclaré qu'au lieu de soumettre les usines à l'accord-cadre, «nous voulons conclure un accord qui nous permette d'être compétitifs dans n'importe quelle région du pays». Il a ajouté que la taille de l'usine de Marshall en cours de construction sera déterminée par les coûts de la main-d'œuvre. «Nous pouvons faire de Marshall une usine beaucoup plus grande ou beaucoup plus petite - nous faisons une pause pour le déterminer. »
Si Ford n'a pas encore cédé sur la question des véhicules électriques, il a cédé, une semaine après le début de la grève, à une autre revendication importante : accorder au syndicat le droit de faire grève dans l'ensemble de l'entreprise si Ford fermait une seule usine. Les travailleurs licenciés pour une durée indéterminée des usines fermées se verraient également garantir une sécurité de revenu pendant deux ans, ainsi que des soins de santé. De nombreuses usines d'emboutissage et d'assemblage des Big 3 traitent déjà des véhicules électriques sur leurs chaînes de production. En revanche, les usines de moteurs à essence n'ont guère de rôle à jouer dans cet avenir électrifié.
Le 3 octobre, Ford a publié une déclaration dans laquelle il s'engageait à ce qu'«aucun de ses employés, y compris ceux du groupe motopropulseur, ne perde son emploi à cause de nos usines de batteries au cours de cette période contractuelle.» (Le syndicat cherche à obtenir un accord jusqu'au 1er mai 2028). Pourtant, l'année dernière, lors d'une conférence à Détroit, M. Farley a expliqué que les VE nécessiteraient 40 % de main-d'œuvre en moins que les voitures à essence. Des chercheurs crédibles affirment qu'il n'est pas encore possible de savoir si les VE vont réellement supprimer des emplois, car l'industrie est encore en train d'expérimenter le processus de travail. Une étude récente menée par des ingénieurs de l'université Carnegie Mellon a estimé que l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement des VE nécessiterait un peu plus de main-d'œuvre que les voitures à essence, si l'on tient compte des batteries et de tous les autres composants.
Electrifier le non-syndiqué
Les trois grands ne produiront qu'une fraction des VE et des batteries fabriqués en Amérique du Nord. La plupart des VE sur le marché aujourd'hui sont fabriqués par des travailleurs dans des usines non syndiquées exploitées par des entreprises telles que Hyundai, Volkswagen et Tesla, une entreprise très antisyndicale. De nouveaux venus, comme VinFast, basé au Viêt Nam, construisent également des usines aux États-Unis. Mais la grève de l'UAW fait des vagues parmi les travailleurs de l'automobile non syndiqués. M. Fain a déclaré à NBC News que l'UAW «envisage d'organiser une demi-douzaine d'entreprises automobiles dans les années à venir. Bientôt, nous ne parlerons plus seulement des trois grands, mais plutôt des cinq, sept et dix grands constructeurs automobiles syndiqués. Nous n'en sommes qu'au début. »
Contrairement à la croyance populaire, l'emploi dans l'industrie automobile américaine a augmenté d'environ 30 % depuis le début des années 1980, pour atteindre 1,3 million de travailleurs, alors que le nombre de membres de l'UAW dans l'industrie a diminué, passant de plus d'un demi-million à 160 000. Les fabricants antisyndicaux se sont rapidement développés dans le Sud, tandis que les trois grands sous-traitaient chaque année davantage de pièces à des entreprises non syndiquées. Les victoires de l'UAW en matière d'ajustement des revenus au coût de la vie et d'augmentation des salaires peuvent contribuer à faire progresser les salaires, même pour les travailleurs non syndiqués, et, espérons-le, les inciter à adhérer à l'organisation.
«Je pense que l'organisation de ces usines [non syndiquées] doit être notre priorité absolue une fois que nous aurons fini d'organiser les trois grands», déclare Ryan Ashley, de Ford Cleveland Engine. «Vu l'importance des gains prévus dans ce contrat, ils s'en rendront compte. Et cela nous aidera.»
Publié par Labor Notes