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États-Unis : les militants syndicaux veulent savoir pourquoi des travailleur·euses ont été laissé·es à l'abandon dans des tornades extrêmes

États-Unis : les militants syndicaux veulent savoir pourquoi des travailleur·euses ont été laissé·es à l'abandon dans des tornades extrêmes

Chagrin, colère et demandes de réponses après que des tornades aient tué au moins 14 travailleur·euses américains.

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Solidaires (CM)

À la suite d'une rare série de tornades survenues en décembre dans la nuit de vendredi à samedi, qui ont fait 80 morts dans six États, les militant·es syndicaux se demandent pourquoi les employé·es de deux grands chantiers ont été laissé·es exposé·es au danger.

Une fabrique de bougies à Mayfield, dans le Kentucky, a été totalement détruite après avoir été frappée directement par une tornade avec 110 ouvrier·es à l'intérieur. Au moins huit personnes sont mortes et des dizaines d'autres ont été gravement blessées. Au même moment, un poste de livraison Amazon à Edwardsville, dans l'Illinois, a également été frappé par une tornade lors d'un changement d'équipe. Le toit s'est envolé et une partie d'un mur extérieur s'est effondrée, tuant six travailleur·euses âgé·es de 26 à 62 ans. Le lendemain matin, alors que les équipes de recherche et de sauvetage passaient au crible les décombres, Jeff Bezos, fondateur d'Amazon et deuxième fortune mondiale, célébrait un nouveau lancement de fusée réussi par sa société privée de vols spatiaux Blue Origin. Pendant ce temps, Amazon n'était pas en mesure de dire avec certitude combien de ses employé·es étaient piégé·es à l'intérieur du poste de livraison dévasté.

«Bien qu'une tornade soit un événement rare et extrême, nous savons que le mépris d'Amazon pour la sécurité des travailleur·euses est malheureusement un modèle chronique qui met les travailleur·euses en danger chaque jour», a déclaré Tommy Carden, responsable syndicale de Warehouse Workers for Justice (WWJ), un centre de travailleur·euses basé à Joliet, dans l'Illinois.

En effet, rien que l'année dernière, Amazon a fait l'objet de critiques répétées pour avoir demandé à ses employé·es de continuer à venir travailler même au milieu de phénomènes météorologiques extrêmes tels que des vagues de chaleur et des inondations mortelles, ce qui montre bien que les travailleur·euses·de première ligne qui ont été les plus durement touché·ees par la pandémie de Covid-19 sont également vulnérables aux conséquences des catastrophes liées au changement climatique.

«Pas de place pour l'humanité chez Amazon»
Selon les autorités locales, la première alerte sur la tornade pour Edwardsville, dans l'Illinois, a été émise environ 30 minutes avant la formation de la tornade fatale. Les travailleur·euses disent qu'on leur a dit de s'abriter dans les salles de bains. Au moins une salle de bain a été touchée par la tornade, tuant Austin McEwen, un conducteur de 26 ans, qui s'y était réfugié.

Larry Virden, un chauffeur d'Amazon et père de quatre enfants, a dit à sa petite amie dans un SMS peu avant la tornade qu'«Amazon ne me laissera pas partir». Il est également décédé dans la catastrophe.

«Exiger que les travailleur·euses travaillent pendant une alerte à la tornade aussi importante que celle-ci est inexcusable», a déclaré Stuart Appelbaum, président de la Retail, Wholesale and Department Store Union (RWDSU), qui a mené une campagne très médiatisée pour syndiquer un entrepôt Amazon à Bessemer, en Alabama.

«Le site a reçu des alertes à la tornade entre 8:06 et 8:16, et les responsables du site ont demandé aux personnes sur place de se mettre immédiatement à l'abri. À 8:27, la tornade a frappé le bâtiment», a déclaré un porte-parole d'Amazon à In These Times. «La majorité de l'équipe s'est mise à l'abri dans l'emplacement principal désigné. Un petit groupe s'est mis à l'abri dans une partie du bâtiment qui a ensuite été directement touchée par la tornade, et c'est là que la plupart des pertes tragiques en vies humaines ont eu lieu.» L'entreprise n'a pas souhaité faire de commentaire sur le message de M. Virden indiquant qu'il n'était pas autorisé à partir.

«Que ce soit lors d'une tornade, d'un ouragan ou d'une vague de chaleur, la Mgmt [direction] traitant les travailleur·euses comme des numéros met nos vies en danger», a tweeté Amazonians United - un mouvement de travailleur·euses d'Amazon à travers le pays qui s'organise depuis 2019 pour obtenir des salaires plus élevés et une meilleure sécurité.

Les membres d'Amazonians United à Chicago ont déclaré que dans leur entrepôt de South Side, «nous avons connu un incendie, une panne de courant, [et] une inondation», mais qu'on leur a dit à chaque fois de «continuer à travailler».

«Ils mettent en place des systèmes pour protéger leur entrepôt, mais il n'y a pas de place pour le jugement humain. Il n'y a pas du tout de place pour l'humanité chez Amazon», a déclaré un employé d'un entrepôt Amazon de la côte Est qui a souhaité rester anonyme.

Un travailleur, qui est membre d'Amazonians United, a déclaré à In These Times que l'entreprise n'a «aucune politique réelle» lorsqu'il s'agit de faire venir des employé·es lors de phénomènes météorologiques extrêmes.

«Ils vous disent très, très rarement si vous devez entrer ou non, vous devez donc en juger par vous- même. C'est en quelque sorte cette manière subtile de vous inciter à venir même si vous ne vous sentez pas vraiment en sécurité», a expliqué ce travailleur. «Ils se déchargent de toute responsabilité et nous mettent tout sur le dos, et c'est ridicule».

Selon The Intercept, les travailleur·euses d'Amazon dans tout le pays affirment n'avoir jamais reçu de formation d'urgence. Le manque de formation est peut-être lié au fait qu'Amazon fait appel à des sous-traitants et à des intérimaires, une pratique qui permet à l'entreprise d'échapper à toute responsabilité en cas d'accident du travail. Sur les 190 travailleur·euses du poste de livraison d'Edwardsville, seuls sept étaient des employé·es à temps plein de l'entreprise. Les travailleur·euses d'Amazon ont également fait part de leurs préoccupations concernant l'interdiction des téléphones portables personnels dans les entrepôts, car elle peut les empêcher d'accéder aux alertes en cas de mauvais temps ou d'autres urgences. Cette interdiction a été temporairement levée lors de la pandémie, et l'entreprise a déclaré qu'elle n'était pas en vigueur dans l'établissement d'Edwardsville. De son côté, l'Amazon Labor Union - un syndicat indépendant regroupant les travailleur·euses d'Amazon travaillant sur un site à Staten Island, dans l'État de New York - a critiqué la société après la tornade de vendredi.

«Ces décès nous rappellent qu'Amazon a maintenu des équipes de travail lors d'autres catastrophes, comme sur le site de Staten Island pendant l'ouragan Ida», a déclaré le syndicat. «Même lorsque l'eau s'est déversée dans le hall de cet entrepôt, les travailleur·euses soucieux de la sécurité qui ont refusé de travailler cette nuit-là ont été licenciés.» Le leader du syndicat Amazon Labor Union, Chris Smalls, a déclaré qu'à la suite de la tragédie, l'entreprise devrait immédiatement reconnaître leur syndicat «pour une question de santé publique et de réparation».

L'administration de la santé et de la sécurité au travail (OSHA) a ouvert une enquête sur la catastrophe survenue au poste de livraison d'Evansville, mais Warehouse Workers for Justice (WWJ) demande que des audiences soient organisées au niveau de l'État afin qu'Amazon établisse des protocoles relatifs à la construction de nouveaux entrepôts.

«Nous demandons aux législateurs de l'État d'intervenir pour revoir les processus de construction de ces entrepôts», a déclaré Marcos Ceniceros, directeur exécutif par intérim de WWJ. «Ces entrepôts apparaissent partout et très rapidement. Il faut faire une pause pour nous assurer que cela se passe de manière responsable, en pensant aux travailleur·euses et aux communautés, mis inutilement en situation dangereuse»
L'usine de bougies non syndiquée détruite à Mayfield, dans le Kentucky, appartenait à l'entreprise familiale Mayfield Consumer Products (MCP), un employeur important de la région. L'entreprise fabrique des bougies parfumées vendues chez des détaillants comme Bath & Body Works. La première alarme de tornade à Mayfield a retenti près de trois heures avant qu'une tornade ne réduise l'usine en ruines, faisant au moins huit morts. Cinq employé·es de l'usine qui ont survécu ont raconté à NBC News que dans les heures et minutes critiques qui ont précédé la tragédie, les superviseurs ont menacé de les licencier, eux et leurs collègues, s'ils quittaient l'usine. Un porte-parole de MCP a qualifié ces allégations de «absolument fausses». La société affirme également qu'il y avait des exercices d'urgence réguliers à l'usine, mais l'employé Jarred Holmes a déclaré à l'Associated Press qu'il n'y avait pas eu d'exercices pendant les mois où il y a travaillé.

«Nous sommes vraiment désolés pour les pertes de vies humaines qui ont eu lieu. En même temps, nous sommes vraiment consternés par le fait que des personnes n’aient pas pu être renvoyées chez elles ou loin de l'usine, où elles auraient pu s'abriter», a déclaré Bill Londrigan, président de l'AFL-CIO du Kentucky.

«Les travailleur·euses ont été inutilement mis dans une situation dangereuse», a poursuivi M. Londrigan. «De nombreux rapports faisaient état d’imminentes tornades se déplaçant dans la région et il ne semble pas que ces avertissements aient été suffisamment pris en compte. Menacer de renvoyer des travailleur·euses parce qu'ils s'inquiètent pour leur sécurité n'est pas acceptable.»

Le mari de Janine Johnson-Williams, une des ouvrières de l'usine qui a été tuée, a déclaré au Kentucky Center for Investigative Reporting : «J'aurais aimé qu'ils appellent et disent : 'Personne n'entre tant que ce n'est pas fini, tant qu'on ne voit pas ce qui se passe. Jusqu'à ce que ce soit terminé.' ».

La production de l'usine de bougies aurait fonctionné «24 heures sur 24, 7 jours sur 7» afin de répondre à la demande pour les fêtes. Dans les jours précédant la catastrophe, l'entreprise cherchait à embaucher davantage de travailleur·euses, offrant un salaire de départ de 8 dollars de l'heure et soulignant que «des heures supplémentaires obligatoires seront fréquemment requises.» MCP avait récemment passé un accord avec la prison du comté de Graves, située à proximité, pour faire travailler des personnes incarcérées dans l'usine, moyennant une rémunération non divulguée. Sept personnes incarcérées travaillaient à l'intérieur de l'usine lorsque la tornade a frappé - toutes s'en sont sorties vivantes, mais un adjoint du shérif qui les surveillait a péri. Contrairement à l'usine de bougies, la prison a été «complètement évacuée» avant le passage de la tornade.

Londrigan a noté que les travailleur·euses incarcérés «n'avaient pas la possibilité de quitter» l'usine de bougies au milieu des alertes à la tornade. «C'est une indication sur la coercition et l'exploitation que subissent ces travailleur·euses qui sont loués à l'employeur. Le fait qu’un adjoint du shérif ait dû être présent soulève des questions sur l'utilisation de l'argent des contribuables pour superviser les détenus dans des établissements privés qui profitent de leur travail.» MCP a également envoyé des représentants à Porto Rico pour recruter des personnes pour venir travailler à l'usine du Kentucky pour 10 à 12 dollars de l'heure, y compris un homme qui a poursuivi l'entreprise en 2019 en alléguant qu'il avait été licencié pour son surpoids. La poursuite, qui a ensuite été rejetée par un juge, comprenait une capture d'écran d'un message texte apparemment envoyé par le directeur financier de MCP, indiquant : «Nous travaillons avec diligence pour nettoyer les problèmes d'épilepsie, d'obésité, de grossesse et de besoins spéciaux.»

Après la tornade de vendredi, le programme de santé et de sécurité au travail de l'État du Kentucky a ouvert une enquête sur l'usine de bougies, et au moins trois survivants poursuivent l'entreprise en justice. Les travailleur·euses et les organisateurs ont souligné que les catastrophes survenues à l'usine de MCP et à l'installation d'Amazon devraient inciter à améliorer sérieusement la sécurité sur le lieu de travail.
«Nous ne voulons pas que cela se reproduise», a déclaré M. Ceniceros. «Il devrait y avoir des protections pour que les travailleur·euses puissent s'exprimer sans crainte de représailles, et ils et elles devraient pouvoir s'organiser également. Les travailleur·euses ont ce droit. Nous devons demander des comptes à Amazon et à toutes ces autres entreprises.»
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